La Tranchée
des Baïonnettes
Plusieurs hypothèses
ont été écrites sur la " Tranchée des
Baïonnettes ", des plus exaltés aux plus réalistes.
Il y a la version officielle,
que l'on a concervé dans nos mémoires, que l'on raconte
dans nos écoles et aux " touristes ". Des soldats attendant
debout au créneaux, prêt à partir à l'assaut
sous un bombardement incroyable. Soudain, un gros obus tombe tout proche,
une immense vague de terre se soulève et recouvre instantanément
les pauvres soldats.
Cette hypothèse est la plus séduisante, car elle cadre parfaitement
avec les horreurs et la violence que l'on imagine des combats de Verdun.
On sait de plus qu'il y a eu de nombreux enterrés vivant, et certains
témoignages dignes de fois nous le prouvent.
Témoignage d'Emile HUET : "
En montant à l'attaque, j'ai vu des choses horribles ; des hommes
d'un régiment qui était sur notre gauche, au nombre d'une
compagnie environ, se trouvaient dans un bout de tranchée qui avait
été épargné. Au moment où nous passions,
le bombardement était épouvantable. Le tir de barrage est
tombé juste sur cette tranchée et a recouvert tous les hommes
qui étaient dedans. On pouvait voir la terre se soulever par l'effort
de tous ces malheureux. J'ai toujours cette vision devant les yeux. "
Témoignage de G. MARYBRASSE : "
Nous sommes dans une longue tranchée, pleine de morts ; une odeur
affreuse monte de l'immense charnier. Soudain, le barrage boche se déclenche.
Je vois des camarades, les yeux agrandis par l'épouvante, regarder
vers le ciel, frappés de stupeur : Je regarde à mon tour,
et je vois, retombant d'au moins 20 mètres, une pauvre chose inerte,
bras et jambes ballantes, comme un pantin sans articulations qu'on aurait
jeté d'un avion, d'un ballon. C'est un camarade qui a été
soulevé comme une plume par le déplacement d'air d'un obus.
Quelques minutes plus tard, un obus éclate si près de moi
(1,50 m à peine) que je vois très nettement une boule de
feu. Par miracle, je ne suis que légèrement blessé,
et je vais dans un petit gourbi, à flanc de ravin pour y attendre
la relève. Je partage l'étroit abri avec un autre blessé.
Avec quelle joie je savoure la possibilité de pouvoir m'étendre
enfin, chose inespérée depuis onze jours ! Mon camarade
sur le dos, moi sur le côté, nous nous endormons. Tout à
coup, un tir de barrage éclate tout près et un obus tombe
juste au-dessus de nous, nous ensevelissant. Alors pour nous, le bombardement
devient lointain, lointain
je me rends compte du tragique de la
situation ; si personne ne vient à notre secours, nous sommes perdus.
Le malheureux qui partage ma tombe est étouffé par la terre
; trois fois de suite, je l'entends faire rronn, rronn, rronn, puis c'est
tout ; je devine qu'il est mort ; il n'a pas souffert longtemps.
De tous mes efforts, j'essaie de me soulever, mais trois mètres
de terre nous retiennent prisonniers ; par une habitude heureuse que j'avais
toujours au front, j'ai toujours sur la tête mon casque avec jugulaire
au menton ; la visière avant retient la terre et l'empêche
de m'obstruer la bouche. La tête rabattue sur la poitrine, respirant
à peine, je garde néanmoins toute ma lucidité. Je
me rends parfaitement compte que tout sera bientôt fini ; alors,
comme un film de cinéma, toutes sortes de souvenirs se présentent
à ma mémoire, mais surtout, je pense à ma mère,
à la peine qui sera la sienne lorsqu'elle saura tout ; puis j'entrevois
mon père et mon frère décédés que je
vais revoir, mes frères et ma sur qui pleureront aussi à
cause de moi ; alors, avec calme, avec toute ma connaissance, du plus
profond de mon cur, je fais mon acte de contrition, demandant à
Dieu d'abréger au plus tôt mon martyre ; puis, des minutes
s'écoulent, qui n'étaient peut-être que des secondes,
mais qui m'ont paru des heures interminables. Je sens que ma tête
bourdonne ; des bruits de cloches semblent sonner très fort, puis
plus rien. De nouveau, je reprends connaissance, et à ce moment,
je me souviens m'être fait cette réflexion : "Ce n'est
pas si dur de mourir
"
Combien de temps suis-je resté ici ? c'est flou, mais assez longtemps,
au moins 25 minutes, je l'ai su après. Au déclenchement
du barrage, tous les camarades se sont sauvés ; quand cela s'est
calmé, ils reviennent. C'est alors que le sergent Sèle s'inquiète
de moi. Sèle est un camarade qui a fait notre admiration pendant
les journées de Verdun par son courage et son sang-froid. "Où
est Marybrasse ?" demande-t-il. C'est alors qu'il s'aperçoit
de l'éboulement ; il m'appelle : "Marybrasse, Marybrasse,
es-tu là ? " Comme dans un rêve, je l'entends vaguement
et ne puis répondre. Persuadé que je suis dessous, il ordonne
à quelques hommes de piocher rapidement. J'entends des coups lointains
qui se rapprochent ; je me dis : "Ils n'arriveront pas jusqu'à
moi
" Enfin, j'entends plus distinctement les coups, j'entends
même que l'on parle. Sèle dit à ses hommes : "Attention
maintenant. "Je sens une main sur mon casque : "J'en tiens un
! "s'écrie Sèle, et alors, de ses mains, il me dégage
vivement la tête.
Comment dire ce que j'ai ressenti à ce moment ? Retrouver la vie
au moment où je croyais bien la perdre, sentir l'air pur de la
nuit
Tout cela m'a ranimé, je me sens sauvé, je pleure
de joie. Je remercie mon sauveur, nous nous embrassons. "
Mais il y a aussi d'autres versions qui
ont été émises par des personnes connaissant parfaitement
les conditions de combats de cette époque, pour les avoir vécu
et s'y être intéressé après la guerre. Leurs
versions s'écartent quelque peu de la version officielle, elles
sont moins sensationnelles et tragiques mais méritent toutes fois
que l'on s'y arrête.
La tranchée aurait été
comblée volontairement plus tard, par des Français ou des
Allemands, afin de recouvrir des cadavres en décomposition. Partant
de cette idée, la suite n'est que formalité
le numéro
du régiment... les circonstances exactes
Jacques Péricard, après
une étude sérieuse, pense pouvoir affirmé que se
sont des hommes du 137e R.I. qui sont enterrés dans la tranchée.
Son témoignage est l'un des plus reconnu : "
Contrairement à certaines hypothèses, de bonne foi celle-là,
la Tranchée des Baïonnettes est bien celle qu'occupaient les
soldats du 137e en juin 1916 et les cadavres qu'elle renferme sont bien
les cadavres de soldats de ce régiment, non des cadavres quelconques
ramassés aux alentours. En janvier 1919, le 137e se trouvant dans
le secteur de Verdun, le colonel Collet, qui commandait alors ce régiment,
fit faire des recherches aux lieux où s'était battu le régiment.
On découvrit une ligne de fusils qui jalonnait l'ancienne tranchée
et émergeaient de l'herbe drue ; les fouilles permirent de reconnaître
que les fusils appartenaient bien à des hommes du 137e.
Le colonel ordonna une prise d'armes pour rendre honneurs aux anciens
du régiment, et par ses soins, on éleva à leur mémoire
un petit monument en bois. C'est ce monument en bois qui devait bientôt
céder la place au monument actuel. "
Ensuite, que la tranchée
est été marquée volontairement à l'aide de
vielles baïonnettes trouvées sur la champs de bataille, afin
de permettre une inhumation futur des corps. Où tout simplement,
que les baïonnettes n'aient jamais existées ? La encore, plusieurs
versions existent.
Reprenons la suite du témoignage de Jacques Péricard : "
Les fusils découverts par le colonel Collet ne portaient pas de
baïonnettes. Y avait-il, sur un autre point de la tranchée,
des fusils avec des baïonnettes, ou les baïonnettes actuelles
ont-elles été ajoutées après coup ? Nous l'ignorons.
Mais que la tranchée en question doive être appelée
Tranchée des Fusils, premier nom que lui donnèrent les journaux
et l'Illustration notamment, plutôt que Tranchée des Baïonnettes,
voilà qui laisse intact le fond de la question. "
Voici la version du colonel Marchal : "
Que s'est-il passé après le départ des survivants
? Le fait est que, de longs mois après, on a retrouvé la
tranchée comblée et une trentaine de baïonnettes qui
émergeaient du sol. Il est probable que les Allemands se sont contentés
de rejeter de la terre sur les nombreux cadavres français qui remplissaient
la tranchée et qu'ils n'ont pas touché aux fusils restés
appuyés contre la paroi de la tranchée. "
Voici enfin le ressenti du commandant P.,
plusieurs fois cité dans ce site, et qui donne toujours un point
de vue des plus intéressants : "
Deux ans après la guerre, des étrangers visitent le champ
de bataille de Verdun et remarquent une ligne de fusils dressés,
quelques-uns avec leur baïonnette. Ils auraient pu observer de semblables
lignes de fusils sur de nombreux points du front, car c'était l'habitude
des Français et des Allemands de jalonner ainsi les vieilles tranchées
qu'ils avaient comblées après avoir entassé dans
le fond des cadavres sans sépulture. Comme ces étrangers
ne connaissent rien à la guerre, ils croient à des hommes
enterrés debout à leur poste ; ils ne savent pas que les
obus ne peuvent fermer des tranchées, qu'au contraire, ils disloquent,
éparpillent les parois des tranchées et les corps des occupants.
Leur imagination s'enflamme. Ils voient des hommes sous un bombardement
en pluie, submergés peu à peu par les éboulis et
attendant, stoïques, que la terre montante recouvre leur poitrine,
leurs épaules, leur bouche, leurs yeux
Ils érigent
un monument.
Si ces étrangers ne méritent aucun blâme, il n'en
est pas de même des Français qui, connaissant la fausseté
de la légende, ont essayé de lui donner une consécration
historique. La Tranchée des Baïonnettes, qui n'était
au début qu'une innocente naïveté, est devenue, par
suite de certaines complicités, une imposture.
Néanmoins, si l'on me demandait quels titres spéciaux possède
la Tranchée des Baïonnettes, je répondrais : pas plus
de titres que n'importe quelle autre tranchée de Verdun, mais pas
moins non plus. Si ce monument, qui symbolise la ténacité
française, n'existait pas, s'il était question, aujourd'hui
seulement, de choisir l'emplacement où il dût s'élever
un jour, on pourrait discuter des titres de telle ou telle partie du champ
de bataille à cette gloire insigne. Car c'est tout le champ de
bataille de Verdun qui a été le théâtre d'héroïsme
inouï, de Vauquois à Calonne qu'il conviendrait de recouvrir
d'un vaste monument, car tout ce champ de bataille n'est qu'une vaste
Tranchée des Baïonnettes. Mais le monument existe, il a déjà
reçu les hommages, il a déjà vu les prières
et les larmes des foules pèlerines ; nous pouvons l'honorer en
toute tranquillité. "
Voila les données
que nous possédons aujourd'hui, je vous laisse vous faire votre
propre opinion.
La Tranchée des Baïonnettes en 1920 - La
Tranchée des Baïonnettes aujourd'hui
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