Le tunnel
de Tavannes
et la tragédie
du 4 septembre
Le tunnel de Tavannes est
un tunnel ferroviaire d'une seule voie où passe le chemin de fer
allant de Verdun à Metz. Situé au nord ouest du fort de
Tavannes, il est long de 1400 m et large de 5.
Plan du tunnel :
Entrée ouest en été
1916
Dès le début
de la bataille de Verdun, le train ne circule plus. Des troupes françaises
viennent tout naturellement s'y abritent pour se protéger du furieux
bombardement allemand.
Petit à petit, les combats se poursuivant dans le secteur, un état-major
de brigade, des services de secours, brancardiers, téléphonistes,
artificiers, génie, un bataillon de réserve, etc
finissent
par s'installer durablement aux extrémités du tunnel. Cet
abri enterré constitue un lieu sûr et permet d'intervenir
rapidement sur la zone des combats.
Plus tard, la totalité
du tunnel est aménagée : un dépôt de munition
est constitué, des cabanes en tôle et en bois sont construites;
des couchettes ainsi que des latrines sont mises en place.
Témoignage du soldat Louis
HOURTICQ : "
C'est une étrange chose que ce tunnel qui passe sous les lignes
jusqu'en plein champ de bataille. Entre deux paquets de fer et de feu,
des formes bondissent dans le tunnel, surgies de l'éruption, pauvres
êtres hagards, haletants, titubants, qu'il faut recueillir et conduire,
dans cette nuit subite.
Tout le jour, toute la nuit surtout, c'est une circulation intense : des
corvées d'eau, de munitions, de vivres ; des troupes qui montent,
d'autres qui descendent, des brancards de blessés qui reviennent
de la bataille, puis sont évacués.
Cette existence souterraine supprime toute distinction entre le
jour et la nuit, ce jeu alterné du sommeil et de la veille qui
rythme notre vie. L'activité, le mouvement, le bruit sont les mêmes,
continus, sans arrêt, sans pause, de midi à minuit, de minuit
à midi.
Sous cette voûte indestructible, trop d'hommes et trop de choses
sont venus chercher un abri : dépôts d'eau, de grenades,
de fusées, de cartouches, d'explosifs ; sous les lampes noires
de mouches, des chirurgiens recousent de la chair déchirée.
Tous les bruits sont dominés par le halètement rapide du
moteur de la machine électrique. Il est comme le battement de fièvre
de cette artère surchauffée. "
Entrée est le 27 février
1916
Très rapidement, la surpopulation,
l'exigüité et l'insalubrité du lieu rendent la vie
très difficile dans le tunnel.
Témoignage du général ROUQUEROL du 16e D.I. : "
... L'éclairage électrique avait été organisé
avec un moteur à essence. Toutefois, on avait eu tort, dans ce
travail hâtif, d 'établir des câbles à haute
tension nus à proximité immédiate des installations
pour les hommes. Plusieurs cas mortels d'électrocution firent apporter
les modifications nécessaires à la distribution du courant.
L'éclairage n'existait d'ailleurs que sur la partie du tunnel utilisée
comme logements ou dépôts ; le reste était obscur.
Un puits d'aérage avait été fermé par des
toiles pour parer à la pénétration éventuelle
des gaz de combat.
L'organisation du tunnel comportait des rigoles d'écoulement pour
les eaux de condensation et d'infiltration qui n'étaient pas négligeables
; mais, sans souci de la nécessité de prévoir l'assèchement
du tunnel, le personnel chargé de cette organisation avait comblé
toutes les rigoles. Le résultat ne s'était pas fait attendre
et de longues portions du tunnel étaient bientôt transformées
en un marécage d'une boue fétide. La plupart des immondices
des occupants y étaient jetées. On y aurait trouvé
même des cadavres.
Tant de causes d'infection, jointes à la suppression de l'aérage
par le puits construit à cet effet, ne pouvaient manquer d'entretenir
dans le tunnel des émanations malsaines qui ont donné lieu
à plusieurs cas d'une jaunisse spéciale au nom suggestif
de jaunisse des vidangeurs.
Le commandant d'une division occupant le secteur de Tavannes au mois de
juillet voulut faire nettoyer ces écuries d'Augias. Il dut y renoncer
sur l'observation du service de santé d'après laquelle l'agitation
de la boue et des eaux polluées causait immanquablement de nombreuses
maladies. Il fallut se contenter de répandre dans les endroits
les plus malpropres de la chaux vive. "
Entrée ouest en été
1916
Témoignage de René le GENTIL
: "
... La dynamo qu'on avait installée était trop faible et
ne pouvait fournir qu'un pauvre éclairage, si bien qu'on y voyait
à peine et qu'on manquait à chaque pas de glisser sur le
bout des traverses de la voie ; mais chose pire, l'eau manquait absolument,
car un seul robinet existait au milieu du tunnel ; et ceux qui venaient
la étaient condamnés à rester des 10, voire 12 et
15 jours sans se nettoyer, malgré les pires besognes à accomplir.
C'est ainsi que j'ai vu de nos hommes, qui venaient de s'infecter les
mains en transportant des cadavres délabrés, être
obligés de manger sans pouvoir se laver. Et quand je demandai pour
eux un désinfectant quelconque, l'aimable pharmacien, charger de
ce service, me fit des reproches amers. je compliquais les choses en réclamant
ainsi ! ...
...
Après les différents services, les hommes s'installaient
comme ils pouvaient sur la voie du chemin de fer, dans le noir complet,
la vermine et la saleté. Il y avait bien eu un timide essai de
cadres treillagés qui avaient servi de couchettes, mais ils étaient
défoncés, abîmés, et les divisions se succédant
rapidement, hélas ! nul ne s'inquiétait de les remplacer
; toutefois, voulant dégager le bas, le génie du secteur
avait commencé l'installation, à mi-hauteur du tunnel, d'un
premier étage en plancher, là gîtaient les territoriaux
; mais comme il n'y avait pas de place pour tout le monde, cela ne faisait
qu'augmenter encore, pour ceux qui étaient dessous, le grabuge
infernal et la saleté qu'on n'avait plus seulement aux pieds, mais
encore sur le tête; car, par les planches mal jointes, la terre
tombait sur ceux qui se trouvaient là."
Témoignage du docteur
Léon BAROS, aide-major au 217e R.I. : "
Nous arrivons à l'issue est du tunnel de Tavannes.
La boue s'étale gluante, des milliards de mouches volent en tous
sens et tapissent les parois du tunnel ; dans tous les coins et sur les
multitudes d'immondices, accumulées partout, grouillent les asticots
et les contorsions de leurs petits corps blancs amènent des nausées
de dégoût ; l'air, chargé de chaleur humide et imprégnée
d'odeur de cadavres, de putréfaction, de sécrétions
acides, de corps en sueur et de fientes humaines, est irrespirable ; les
gorges se contractent en un réflexe nauséeux.
C'est par cette issue est que le tunnel communique avec le champ de bataille,
sous les avalanches nombreuses et imprévues, continues ou espacées,
des tonnes de fer et de feu qui se déversent dans un endroit repéré
exactement, où les projectiles de tous calibres prenant en enfilade
la tranchée du chemin de fer qui précède le tunnel,
sont posés presque comme avec la main, tellement le tir est précis
et le lieu exactement repéré.
Et c'est un lieu de passage qu'on ne peut éviter, où défilent
ravitaillent, réserves, agent de liaison, relèves, blessés.
Les Boches le savent bien. Les obus, petits, moyens et gros, éclatent
sans interruption, sur un parcours de 12 à 15 mètres, devant
l'entrée du tunnel, soit à la cadence d'un tir de mitrailleuses
lorsqu'il y a barrage, soit à l'intervalle d'une minute ou d'une
demi-minute ; c'est infernal ! Que de malheureux ont été
anéantis à cet endroit ! "
Entrée est en été
1916
Témoignage du lieutenant BENECH
du 321e R.I. : "
Nous arrivons au tunnel. Serons-nous donc condamnés à vivre
là ? Je préfère la lutte à l'air libre, l'étreinte
de la mort en terrain découvert. Dehors, on risque une balle ;
ici, on risque la folie.
Une pile de sacs à terre monte jusqu'à la voûte et
ferme notre refuge. Dehors, c'est l'orage dans la nuit et le martèlement
continu d'obus de tous calibres. Au-dessus de nous, sous la voûte
qui sonne, quelques lampes électriques sales, jettent une clarté
douteuse, et des essaims de mouches dansent une sarabande tout autour.
Engourdies et irritantes, elles assaillent notre épiderme et ne
partent même pas sous la menace d'un revers de main. Les visages
sont moites, l'air tiède est écurant.
Couchés sur le sable boueux, sur le rail, les yeux à la
voûte ou face contre terre, roulés en boule, des hommes hébétés
qui attendent, qui dorment, qui ronflent, qui rêvent, qui ne bougent
même pas lorsqu'un camarade leur écrase un pied.
Par place, un ruissellement s'étend ! de l'eau ou de l'urine ?
Une odeur forte, animale, où percent des relents de salpêtre
et d'éther, de soufre et de chlore, une odeur de déjections
et de cadavres, de sueur et d'humanité sale, prend à la
gorge et soulève le cur. Tout aliment devient impossible
; seule l'eau de café du bidon, tiède, mousseuse, calme
un peu la fièvre qui nous anime. "
Ainsi, durant toute la bataille de Verdun,
des milliers d'homme vont faire une halte plus ou moins longue dans le
tunnel de Tavannes. Chaque jour 1500 à 2000 hommes s'y entasseront.
La tragédie du
4 septembre 1916 :
Le 4 septembre, vers 21 h
, le dépôt de grenades placé à l'entrée
ouest du tunnel de Tavannes prend feu.
A 21 h 15, une formidable explosion se
produit, comprimant en une instant les poitrines de tous les êtres
vivants présents dans le tunnel. Les flammes qui se propagent rapidement
atteignent le stock de bidons d'essence qui sert à alimenter le
groupe électrogène.
En quelques minutes, les baraquements en bois où sont entassé
de nombreux soldats s'embrasent. Une fumée très dense avance
dans le tunnel semant la panique et la mort. Les hommes qui ne sont pas
asphyxiés instantanément, s'enfuient en désordre
en se marchant les un sur les autres, vers la sortie opposée. Cependant
la nappe de fumée les gagne de vitesse et des 100e d'hommes tombent
avant d'arriver à l'air libre. Même équipé
de masque à gaz, la densité de la fumée est telle
qu'aucun sauveteur ne parvient à pénétrer à
l'intérieur du tunnel.
Les hommes qui sont parvenus à atteindre
la sortie est se trouvent face au bombardement allemand et ne peuvent
s'échapper. Cependant, il y a urgence à évacuer cet
endroit irrespirable. Un colonel, révolver au poing, menace de
tirer sur les malheureux. Dans l'affolement le plus complet, les premiers
étant poussés par ceux qui arrivent derrière eux,
s'enfuit en tentant de trouver refuge dans les trous environnants.
De plus, les Allemands qui ont aperçu
la nappe de fumée qui est montée très haut dans le
ciel, redoublent leur pilonnage sur les entrées du tunnel.
Jusqu'à 21 h 45, des groupes d'hommes,
noirs, à demi asphyxiés, sentant la chair grillée,
surgissent par la sortie est et s'enfuient sous les obus.
Durant toute la nuit, aucune manuvre de secours ne peut être
entreprise.
Le brasier continue à brûler
durant 2 jours, carbonisant les 100e de cadavres jonchant le sol. Lorsque
plus tard, on pénètre dans le tunnel, on ne retrouve rien
que des cadavres qui partent en cendre dès qu'on les touche. Seulement
30% en moyenne peuvent être identifiés.
500 à 600 homme ont péri
dans cette catastrophe : officiers et soldats du 1er et du 8e génie,
des 22e, 24e et 98e régiments territoriaux ; des médecins
majors et des infirmiers régimentaires des 346e, 367e, 368e et
369e R.I. ; des blessés qui, couchés sur des brancards et
se sentant en sécurité, attendaient leur évacuation.
Aucun journal ne parla de cette tragédie
Quelques victimes de la catastrophe
du 4 septembre
étendues dans un fossé
à l'entrée du tunnel
en attendant l'inhumation
Finalement, l'armée allemande ne
parvient jamais à atteindre le tunnel de Tavannes. L'attaque française
du 24 octobre repousse une 1ere fois la ligne de front.
La seconde offensive française le 15 décembre éloigne
à nouveau le front, mettant définitivement hors de danger
la fortification. Dès lors, le fort de Tavannes ne sera plus bombardé.
L'entrée ouest
du tunnel de nos jours :
En 1936, un autre tunnel a été creusé parallèlement
à celui d'origine. Les rails ont
été déplacés sur ce nouveau tunnel qui est
actuellement en activité. L'ancien tunnel n'est plus utilisé,
il ne reste pratiquement rien de visible de l'activité qui régnait
durant la guerre et de la catastrophe du 4 septembre 1916.
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