Le fort de Vaux
Le fort de Vaux a été
construit entre 1881 et 1884 par le général Séré
de Rivières. De taille modeste, il culmine à 350 m et domine
le village de Vaux et toute la plaine est de la Woëvre.
Réalisé en maçonnerie
simple, sa construction devient vite obsolète en raison du développement
rapide des explosifs et des projectiles. Le fort subit donc d'importantes
transformations entre 1888 et 1905.
Les 2 coffres simples et le coffre double sont construits à chaque
extrémité. Trois galeries sont creusées pour accéder
à chacun d'eux, elles sont protégées par une couche
de béton de 1,25 m.
La cour intérieure est supprimée et la tourelle de 75 ainsi
que les 3 observatoires sont construits.
Dans la caserne, 7 casemates sont conservées sur les 11 initiales.
Elles sont recouvertes d'une couche de sable d'amortissement de 1 m d'épaisseur
et de 2.5 m de béton.
Les 2 casemates de Bourges sont construites. Leur rôle est d'assurer
la couverture du côté ouest : le fort de Douaumont (distant
de 3200 m), la partie ouest du bois d'Hardaumont, le ravin de la Fausse
Côte, le bois de la Caillette et le ravin du Bazil ; et du côté
est : le fort de Moulainville. Chacune est équipée de 2
canons de 75.
Les fossés d'une largeur de 10 m et d'une profondeur de 5 m sont
équipés de grilles métalliques pour gêner leur
franchissement. Ils sont précédées d'un réseau
de fil de fer de 20 m de large.
Au début de la guerre, le fort compte
6 canons de 75 et 4 canons revolvers. Cependant, comme pour le fort de
Douaumont, le décret du 5 août 1915 préconise la suppression
de l'armement et des approvisionnements. De ce fait, les canons des casemates
de Bourges sont enlevés mais la tourelle de 75 (qui contient 2
canons), dont le démontage présente quelques difficultés,
est laissée en place.
Ce décret prévoie en effet
le désarmement de toutes les fortifications fixes de la ceinture
fortifiée de Verdun. Le commandement suprême a pensé
qu'elles étaient devenues inutiles, ce qui est somme toute défendable
dans la situation de la guerre en août 1915.
Cela, pour plusieurs raisons : Ces fortifications ont un rôle passif
par rapport aux armées de campagnes sur lesquelles on mise tout
en 1915. Elles sont pilonnées et détruites par l'artillerie
lourde ; Elles nécessitent une énorme consommation de munitions
qui doivent être acheminée par des voies qu'il faut sécuriser
; Ces obus lourds et la logistique qu'il faut déployer pour les
acheminer en sécurité pourrait être employées
plus utilement sur d'autres points du front.
Plans du
fort :
Coupe
suivant XY
Historique
du fort :
Jusqu'à l'assaut Allemand sur Verdun
le 21 février 1916, le fort subit quelques tirs d'artillerie.
Le 18 février 1915, quelques obus de 420 sont lancés sur
le fort et provoquent de sérieux dommages à la tourelle
de 75 et aux murs de contrescarpe.
Le 26 février 1915, de nouveaux obus détruisent la dalle
menant à la tourelle de 75, ainsi qu'un observatoire. Ce 26 février,
129 obus de 380 et 420 mm s'abattent sur l'édifice.
Durant les mois d'avril
et de mai 1916, le fort subit à de nombreuses
reprises de très violents bombardements.
Journées du 2 au 17 mai 1916.
Témoignage de L. LAURENT, caporal à la 7/51 compagnie de
génie : "
Nous avons vécu au fort de Vaux pendant 15 jours, du 2 au 17 mai.
Huit mille obus tombaient chaque jour sur le fort et ses environs, et
ceci par journée calme. On vivait dans la crasse, barbe de 15 jours,
couverts de poux, au milieu d'une âcre odeur de sang venant de l'infirmerie,
simple casemate où l'on entassait les blessés et où
les morts attendaient qu'on les jette comme l'on pouvait, la nuit, dans
une fosse. On pataugeait dans l'urine aux W.C. où l'ammoniaque
rendait l'air irrespirable. Partout, dans les couloirs, les hommes étaient
entassés, couchant pêle-mêle dans les positions les
plus diverses. Le degré de fatigue de tous était tel, qu'il
suffisait de s'asseoir ou de se coucher quelques secondes pour dormir,
dormir comme jamais nous ne dormirons plus. "
24 mai
Le commandant Raynal du 96e R.I. prend le commandement du fort de Vaux.
1er juin - Pression
allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
Au début du mois
de juin, le fort est toujours commandé par le commandant Raynal
du 96e R.I. Sa garnison est composée de 600 hommes alors qu'elle
ne peu théoriquement n'en contenir que 250 : le 2e bataillon du
142e R.I., qui forme la garnison intérieur du fort et tient les
abords extérieurs est ; mais également des blessés,
des restes d'unités décimées, des égarés
accidentellement qui naturellement sont venus s'abriter là et que
l'on ne peut rejeter à la mort. Certains ont été
évacués durant la nuit, mais depuis plusieurs jours, plus
personne ne rentre ni ne sort ; 8000 obus tombent 22 heures sur 24 sur
la fortification, à chaque ouverture, un obus toxique tombe toutes
les 5 secondes. Des murs de sacs de sable ont été érigés
à chaque accés afin que les gaz pénètrent
le moins possible.
Dans le fort, la vie est insupportable. Témoignage du lieutenant
Albert CHEREL : "
Il y en avait de tous les calibres : du 77, du 105, à l'éclatement
déchirant ; du 210, du 380, que les soldats avaient surnommé
le "Nord-Sud"à cause du grondement strident de son sillage
dans l'air ; peut-être du 420, car on en trouva un culot près
du corps de garde le lendemain. Ces obus, à certains moments, tombaient
à la cadence de 6 par minute. Il nous semblait vivre au milieu
d'une effroyable tempête. "
Témoignage du lieutenant Albert CHEREL : "
Le fort de Vaux qui avait été bâti pour contenir une
compagnie, en logeait maintenant 6. La circulation était devenue
difficile. L'air était peu respirable, d'autant plus que, sans
cesse, les obus éclatant près des fenêtres ou des
entrées lançaient dans les couloirs leur fumée ou
la poussière de terre et de pierre qu'ils faisaient jaillir.
La poussière avait un autre inconvénient ; elle augmentait
la soif et la rendait insupportable. "
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, le
3e bataillon du 28e R.I. est en ligne non loin du fort. Il est soumis
au bombardement intense que les Allemands produisent sur le secteur du
fort. Dans l'obscurité, blottis au font de leur tranchée,
les hommes succombent les uns après les autres. Chacun attend l'éclat
qui le tuera. A l'aube, le bataillon est entièrement anéanti.
Sa disparition permet à l'ennemi d'avance et de progresser ainsi
jusqu'au ravin du Bazil.
Un coureur est parvenu à rallier
le 1er bataillon du 28e qui est en arrière, en soutien. Le bataillon
se porte aussitôt en avant pour contre-attaquer, malgré le
tir de barrage allemand qui n'a pas faibli. Il est à son tour anéanti
et réduit à 8 hommes en un instant. Il faut noter que de
nombreux obus français tombent également, par erreur, au
même endroit.
Les Allemands poursuivent leur progression
et contournent les 1er et 3e bataillons du 5e R.I., déjà
réduit de moitié par le bombardement des dernières
heures.
Le 3e bataillon du 119e R.I. est alerté et reçoit l'ordre
de monter en ligne en urgence. Il part de Verdun en plein jour et parvient
à rejoindre le 5e R.I. Ensemble, ils réussissent à
stopper l'ennemi, mais le ravin du Bazil est déjà fortement
investi et ne peut être repris. La position des 2 régiments
français reste donc très précaire.
Dans la matinée, le 24e R.I. qui
est en ligne au saillant d'Hardaumont, subit une 1ère attaque qu'il
parvient à repousser à la grenade. Un peu plus tard, une
seconde attaque plus compacte est lancée, les hommes se battent
jusqu'à épuisement total. Les derniers survivants sont fait
prisonniers.
Les Allemands avancent et occupent le saillant d'Hardaumont, puis bientôt,
le ravin de la Fausse-Côte. Ils franchissent la digue puis, après
plusieurs heures de combat, atteignent le bois Fumin et les retranchements
R2 et R3.
Durant cette journée, tous les éléments
français qui se sont trouvés face à l'ennemi ont
été soit chassés, soit anéantis, soit fait
prisonniers. L'ennemi a réalisé une avancé importante.
De la position qu'il occupe désormais, il est bien placé
pour attaquer le fort de Vaux par l'est.
La 52e D.I. (49e et 58e B.C.P., 245e, 291e,
320e, 347e et 348e R.I.) est mise à la disposition de la 6e D.I.
2 juin - Perte du village
de Damloup - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
Depuis plusieurs heures, un intense bombardement par obus asphyxiants
s'abat sur le secteur du fort de du village de Damloup.
Lorsqu'à l'aube, le bombardement s'arrête, le tir de barrage
français ne prend par la relève. Les Allemands, 4 compagnies
d'assaut, s'élancent sur le village de Damloup. Il est alors tenu
par des éléments du 1er bataillon du 142e R.I. Le village
tombe rapidement et les Allemands poursuivent leur progression en montant
vers le fort de Vaux par le ravin de la Horgne.
Ils arrivent bientôt
à proximité du coffre simple nord-est (les coffres de contrescarpe
sont des ouvrages autonomes défendant le fossé intérieur
du fort). Il est protégé par la 7e compagnie du 142e R.I.,
commandée par le capitaine Tabourot, et qui occupe le coffre lui-même
et les abords proches.
Le combat s'engage aussitôt,
mais bientôt, les positions avancées sont contournées
par l'ennemi. Le capitaine Tabourot, les 2 jambes déchiquetées
par une grenade, ordonne aux survivants de se replier dans le coffre simple.
Le capitaine Tabourot parvient à se traîner sur ses moignons
jusqu'à l'entrée ou il est emporté à l'infirmerie.
Les Allemands tentent alors de pénétrer
dans le coffre. Les Français reculent dans la galerie d'accès,
1 m 50 de haut, moins de 1 m de large, et établissent un barrage
avec des havresacs. Les Allemands le font sauter, il est rétabli
un peu en arrière. Ce dernier barrage parvient à être
défendu durant plusieurs heures mais après 3 tentatives,
les Allemands parviennent également à le faire sauter. Un
3e barrage de sacs de sable est mis en place plus en retrait, derrière
le premier portail en fer.
Jusqu'au soir, les Allalleùands emploieront tous les stratagèmes
pour tenter de faire sauter la porte mais n'y parviendront pas.
Pendant ce temps, un petit groupe de pionniers
Allemands est descendu dans le fossé, large de 10 m et profond
de 5, comblé en partie de blocs de béton, a escaladé
le mur de contrescarpe et a atteint la superstructure du fort. Il est
soumis à des tirs venant de 2 mitrailleuses installées dans
des brèches ainsi que venant du coffre double nord-ouest.
Les 2 mitrailleuses
sont nettoyées à la grenade à main et quelques pionniers
se dirigent en rampant vers le coffre double et parviennent à se
hisser sur le toit.
Tout est prévu, ils ont emporté le matériel nécessaire.
Grâce à des tuyaux coudés positionnés devant
les embrasures, ils enfument le coffre avec des lance-flammes. Les mitrailleuses
se taisent. Cependant, elles ne tardent pas à tirer à nouveau
lorsque la fumée s'est dissipée. Il faut tenter autre chose
Ils descendent des grenades dans des sacs de terre, qu'ils font exploser
au niveau des ouvertures, tuant les occupants et mettant les pièces
hors de service.
A 17 h, la
situation du coffre nord-ouest est devenue critique. Le commandant Raynal
ordonne l'abandon du coffre et le replie dans le couloir d'accès,
ou un barrage de sac de sable est mis en place.
Témoignage du commandant Raynal : "
Le sous-lieutenant Denizet de l'artillerie, qui défend le coffre
double, vient me rendre compte que les Allemands, qui sont au-dessus de
sa tête, ont, à l'aide de cordes, descendu des paniers de
grenades juste à hauteur de nos embrasures, les ont fait exploser
et ont mis des pièces hors de service.
D'autres Allemands, rencontrant sous leurs pieds le travail que j'avais
fait faire pour boucher un trou de cinq mètres percé dans
la voûte par l'explosion d'un 380, ont défait de travail
et l'on aperçoit leurs têtes grimaçantes se dessiner
sur le fond du ciel. En lançant des grenades par ce trou, l'ennemi
peut couper les défenseurs du coffre double. Je décide que
ce coffre, dont les pièces sont maintenant inutilisables, sera
évacué et je me clôture de ce côté, par
un barrage, construit avec créneaux pour grenadiers, en arrière
de l'ouverture percée par le 380. "
Dés lors, l'ennemi
est maître des 2 coffres nord-ouest et nord-est ainsi qu'une partie
de la superstructure. Il ne peut reculer, il va, coûte que coûte,
engager une lutte à mort pour conquérir le fort. Les Français,
impuissants, prisonniers dans la fortification, vont défendre chaque
couloir, chaque ouverture, avec acharnement.
En début d'après-midi,
la 4e et la 11e compagnies du 142e R.I. contre-attaquent le village de
Damloup, elles sont anéanties par les obus avant d'atteindre le
village.
Jusqu'au soir, les combats
dans le secteur du fort, sur sa superstructure et dans les galeries d'accès
aux coffres ont été incessants, très violents et
très meurtriers.
A la nuit, un bataillon
du 53e R.I. et la 63e D.I. (216e, 238e, 292e, 298e, 305e et 321e R.I.)
viennent renforcer les positions françases très précaires
entre le fort et Damloup (le 298e se dirige sur Tavannes).
3 juin - Pression allemande
sur le fort de Vaux (rive droite)
A 2 h, le 2e bataillon du 75e R.I. tente une attaque vers la Caillette
mais ne parvient pas à progresser. A 9h, une nouvelle tentative
donne le même résultat.
Les 1er et 2e bataillon du 119e R.I. attaquent
en haut du ravin du Bazil mais ne parviennent pas à forcer la ligne
allemande. Plus tard, ils repoussent 2 violentes contre-attaques.
Le commandant Raynal envoie un pigeon à
la citadelle de Verdun pour demander un tir d'artillerie sur les dessus
du fort. Cependant, lorsque que l'oiseau arrive à destination,
il est blessé et a perdu la bague contenant le message. Il était
le suivant : "
Les pertes de l'ennemi sont effroyables, mais il reçoit sans cesse
des renforts, des troupes fraîches qui escaladent le fort, travaillent
sur le dessus et autour de l'ouvrage. Il occupe nos anciennes tranchées
qu'il a armées de mitrailleuses ; il est même parvenu à
en installer sur le dessus du fort. "
Cependant, à 5 h, un avion français
parvient à survoler l'ouvrage et à rendre compte de la situation.
Peu de temps après, le tir que souhaitait le commandant Raynal
s'abat sur le fort. Les pionniers allemands se réfugient dans les
coffres de contrescarpes conquis la veille.
Dans la matinée, 2 bataillons du
53e R.I. qui sont en position dans le secteur du fort, reçoivent
l'ordre de se porter au nord de l'ouvrage et de tenter une attaque. Leurs
actions ne donnent aucun résultat mais il fallait s'y attendre,
ses hommes sont trop épuisés par plusieurs jours de bombardement.
Il est prévu de réaliser une attaque de plus grande envergure
le lendemain à l'aube.
Toute la journée, les combats de taupes se poursuivent dans les
2 galeries enfumées qui relient les 2 coffres nord au cur
du fort. Mais la situation reste inchangée.
Quelques détails de ces combats, témoignage du Kurt Von
Raden, correspondant de guerre allemand : "
Un escalier descendait profondément, puis venait un court palier,
puis un roide escalier montant jusqu'à une solide porte en chêne
qui empêchait d'aller plus loin. Le lieutenant des pionniers Ruberg
décida de faire sauter cette porte en y plaçant tout ce
qu'il fallait de grenades à main et de mettre à profit la
confusion qui s'ensuivrait pour donner l'assaut avec ses soldats. Pour
n'être pas elle-même anéantie par l'explosion, il fallait
que le troupe gagnât assez de temps pour pouvoir, la mèche
une fois allumée, descendre l'escalier et remonter de l'autre côté,
ce qui exigeait au moins un cordon brûlant vingt secondes.
Le
lieutenant Ruberg, à défaut de pétards explosifs,
lia donc ensemble une douzaine de grenades ; il les assujettissait contre
la lourde porte, lorsqu'il entendit, derrière celle-ci, le chuchotement
des Français et le petit crépitement significatif d'un cordon
Bickford. Il n'avait donc plus le temps de la réflexion car, en
une demi-minute au plus, la porte allait sauter de dedans, et les Français
auraient, dans ce cas, la supériorité morale de l'assaut.
Il fallait donc les devancer. Le lieutenant fit signe à ses hommes
de se garer, tira le détonateur normal d'une des grenades à
main qui fonctionne en cinq secondes, et se jeta au bas de l'escalier
pour n'être pas lis en pièces. Il était à mi-chemin
quand se produisit une formidable explosion : la charge posée par
les Français sautait en même temps que l'autre, sous son
action. La pression de l'air lança le lieutenant à quelques
mètres plus loin, et il reçut dans le dos plusieurs éclats.
Ses pionniers se jetèrent en avant dans le couloir, arrivèrent
jusqu'à un croisement, mais furent alors reçus par deux
mitrailleuses placées à angle droit environ à dix
pas en arrière, si bien qu'il devint impossible de pousser plus
loin. Il fallu patienter toute la nuit. "
Toute l'après-midi,
le bombardement allemand est très violent sur les bois de Vaux-Chapitre,
de la Vaux-Régnier et de la Montagne, les ouvrages de Souville
et de Tavannes, la batterie de Damloup et ses abords.
4 juin - Pression allemande sur le fort
de Vaux (rive droite)
Dès 2 h, la contre-attaque prévue la veille par les
Français est lancée. Cependant, un seul bataillon du 298e
R.I. y participe. Il ne peut prétendre seul à débarrasser
les éléments du fort des forces ennemis qui en sont maîtres.
Il s'élance cependant avec courage et énergie, et parvient
à reprendre un élément de tranchée au nord-ouest.
Il ne pourra pas progresser d'avantage, soumis aux tirs des mitrailleuses
allemandes venant des coffres de contrescarpe.
Le commandant Raynal qui a suivi cet assaut
censé lui venir en aide, est de plus en plus inquiet. Il connaît
le courage de ses hommes, il sait qu'ils se battront jusqu'au bout, mais
si aucune aide lui vient de l'extérieur, comment pourra t-il remédier
au manque d'air et au manque d'eau.
Le courage ne remplace pas la soif
"
Tout le monde chercher un peu de fraîcheur contre les dalles ou
contre les murs. Hélas ! la pierre est chaude. Les yeux brillent
de fièvre, et l'on n'à touché qu'un quart d'eau depuis
vingt-quatre heures. L'air est affreusement lourd : j'ai l'impression
de me remuer sous une pile d'édredons. Une poignée de braves
continue de soutenir le moral aux barrages, mais la masse commence à
faiblir "
"
Enfiévrés, les hommes ne demandaient qu'à boire et
ne pouvaient goûter aux aliments. L'air était empoisonné
par la fumée des gaz, de la poudre et de la poussière ;
la couche était telle que les lampes s'éteignaient et que
les lampes électriques n'arrivaient pas à percer sa profondeur
à plus de 50 centimètres. Les hommes étaient si faibles
qu'à chaque instant plusieurs tombaient en syncope. Les blessés,
assez nombreux, ne pouvaient être soignés, faute de médicaments.
"
A 11 h 30, le dernier pigeon du fort, matricule
787-15, vient d'être intoxiqué par les gaz, il va mourir.
Alors que l'on tient la cage le plus haut possible, le commandant Raynal
rédige son dernier message : "
Nous tenons toujours, mais nous subissons une attaque par les gaz et les
fumées, très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager.
Faites nous donner de suite communication optique par Souville, qui ne
répond pas à nos appels. C'est notre dernier pigeon. "
Lorsque qu'il prend son envole, il pauvre oiseaux est désorienté
et vient se reposer sur l'embrasure d'une meurtrière. Il est récupéré
et envoyé à nouveau, mais cette fois, saluer par les mitrailleuses
allemandes, il s'envole en direction de Verdun. Quelques dizaines de minutes
plus tard, il rejoint le pigeonnier militaire de la citadelle de Verdun
et expire. Il a accompli sa mission. Il recevra une bague d'honneur avec
cette citation : "
Malgré des difficultés énormes résultant d'une
intense fumée et d'émission de gaz, a accompli la mission
dont l'avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication
de l'héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis
les derniers renseignements qui aient été reçu de
cet officier. Fortement intoxiqué est arrivé mourant au
colombier. "
Plaque commémorative du pigeon mat. 787.15
(visible au fort de Vaux)
Comme la veille, les Allemands
tentent toute la journée, par tous les moyens de forcer les barrages
mis en place par les Français.
Témoignage du caporal brancardier Vanier, du 101e R.I. : "
Les Allemands nous envoient du liquide enflammé ; une fumée
noire entre dans les casemates, le bruit sourd des grenades nous arrive
de plus en plus précis ; nous ne pouvons pas respirer ; nous sommes
noirs comme des moricauds. Pour avoir de l'air, il faut ouvrir les fenêtres.
Avec beaucoup de précautions, nous enlevons peu à peu les
sacs de terre qui les protègent. Nous avons de la chance de ne
pas voir d'Allemands dans le fossé. Quelques-uns sautent dehors
pour pouvoir respirer. Mais il faut rentrer : ordre du commandant de refermer
toutes issues.
Nous ne sommes pas au bout de nos épreuves : le barrage de droite
vient de fléchier. Les Allemands trouvant que nous résistons
trop ont pris les grands moyens : avec du pétrole enflammé,
ils arrosent les défenseurs et parviennent ainsi à forcer
le barrage
Quelques grenadiers nous arrivent avec diverses blessures,
les cheveux, les sourcils roussis, plus rien d'humains, des êtres
noirs, les yeux hagards, tout ce qui peut être brûlé
et brûlé. Grosse émotion
quelques hommes commencent
à perdre la tête
"
A 22 h, Raynal convoque tous les officiers
encore valides afin de faire un point sur la situation. Elle n'est pas
brillante
la soif est le plus gros problème et il ne va pas
s'arranger. Les hommes sont voués à s'affaiblir indéniablement,
heure après heure.
Raynal décide donc de tenter une évacuation cette nuit même,
à la faveur de l'obscurité, de tous les hommes non indispensables
à la défense et l'intendance du fort. Tous les soldats ne
faisant pas partie de la garnison, mourant déjà de soif
inutilement, doivent donc s'échapper vers les lignes françaises.
A 1 h 30 (le 5 juin), la troupe constituée
se regroupe sous les ordres de l'aspirant Buffet.
Témoignage du caporal Guillantou : "
Le moment du départ arrive. Il est 1 h 30. L'aspirant Buffet sort
en tête. Je suis, et dès lors, me porte en avant. La mitrailleuse
crépite, les fusées nous éclairent ; un violent tir
de barrage nous accompagne, depuis les 305 jusqu'aux 77 ; c'est un déluge
d'obus.
Qu'importe ! Notre groupe de neuf ne se rebute pas et continue son avance.
L'espace, quoique difficile et long à franchir, est bientôt
parcouru.
Nous arrivons ainsi à une carrière appartenant aux lignes
françaises ; le cri de " Halte-là ! " retentit.
Immédiatement, plusieurs voix répondent " France !
"
Notre tâche était presque terminée ; l'évasion
avait réussi. "
Une 100e d'hommes parviennent ainsi à
rejoindre les lignes françaises.
L'aspirant Buffet est immédiatement conduit au fort de Tavannes,
afin de rendre compte au commandant du secteur sur la situation du fort
de Vaux. L'état major ainsi informé, met immédiatement
sur pied une contre-attaque pour le 6 au matin.
Il faut maintenant que quelqu'un connaissant le secteur, regagne le fort
afin de réaliser la liaison avec le commandant Raynal : "
Tenez encore, nous allons contre-attaquer ". On propose la
mission à l'aspirant
Buffet qui accepte aussitôt. Il repartira donc à la nuit
vers le fort, accompagné du sergent Fretté, ayant également
participé à l'évasion.
5 juin - Pression allemande
sur le fort de Vaux (rive droite)
C'est une nouvelle journée de lutte qui
se déroule dans les coursives, les couloirs et les casemates. Mais
tous les points stratégiques sont conservés au pris de souffrances
inouïes.
Le bombardement allemand est très violent sur le fort et ses alentours.
De nombreux obus français tirés trop court, viennent s'y
ajouter.
A 4 reprises, le commandant
Raynal tente l'envoi d'un message optique au fort de Souville.
A 1 h : "
L'ennemi travaille, partie ouest du fort, à constituer un fourneau
pour faire sauter voûte. Taper vite avec artillerie. "
A 8 h : "
N'entendons pas notre artillerie. Sommes attaqués par gaz et liquides
enflammés. Sommes à toute extrémité. "
A 21 h 45 puis à 23 h : "
Il faut que je sois dégagé ce soir et que du ravitaillement
en eau me parvienne immédiatement. Je vais toucher au bout de mes
forces. Les troupes, hommes et gradés, en toutes circonstances,
ont fait leur devoir jusqu'au bout. "
A minuit, l'aspirant Buffet
et le sergent Fretté partent de Tavannes et parviennent à
regagner le fort de Vaux. Ils sont accueillis très chaleureusement
par le commandant Raynal auquel ils transmettent leur message d'espoir.
Ce message, bien que positif, n'est pas du tout satisfaisant. Seulement
4 compagnies (238e et 321e R.I.) sont prévues pour l'attaque, accompagnées
de quelques pelotons du génie munis d'échelles spéciales,
pour gravir la superstructure, comme au Moyen Age. Sans mettre en doute
la valeur des combattants ni leur héroïsme, il est illusoire
de croire que l'ennemi laissera avancer ces hommes équipés
d'échelles. En ce qui concerne la préparation d'artillerie,
aucun détail, alors qu'elle aurait du durer plusieurs jours pour
être efficace, comme l'on fait les Allemands !
Le commandant Raynal est ses officiers doivent se résigner à
l'action prévue par le G.Q.G., ils ferons de leur mieux
6 juin - Pression allemande
sur le fort de Vaux (rive droite)
A 2 h, l'attaque française qui doit dégager le fort
s'élance. Elle est composée de 2 compagnies du 321e R.I.
et de 2 du 238e R.I., ainsi que de quelques pelotons du 4e Génie
équipés de matériels de franchissement.
Les 2 compagnies du 321e s'élancent
sur la face est du fort et parviennent à traverser une première
tranchée. Ils atteignent ensuite le fossé où elles
sont accueillies par un puissant barrage à la grenade. Elles tentent
désespérément de forcer le passage mais en quelques
instants, tous les officiers et la moitié des effectifs sont tombés.
Les débris des 2 compagnies se rassemblent et rejoignent leur point
de départ sous un déluge de fer.
Témoignage de Jacques FERRANDON,
soldat au 321e R.I. : "
Le 6 juin, à 2 heures du matin, nous montions à l'attaque
du fort de Vaux. Nous avançâmes jusqu'au moment où,
ayant épuisé toutes nos munitions en grenades et, postés
dans un entonnoir, nous tirions presque à bout portant sur l'ennemi,
bien visible sous les fusées éclairantes.
Trop occupé à me battre, je n'entendis pas l'ordre de repli
; quand je m'aperçus que j'étais seul, je m'aplatis dans
un trou. Ayant attaché mes armes et équipements à
mes jambes, je pris en rampant le chemin du retour. Combien de temps m'a-t-il
fallu, je ne puis le dire, mais ce que je vis fut affreux : partout des
cadavres français et allemands, pêle-mêle. Je ne me
détournais de l'un que pour passer sur un autre ; pas un trou qui
ne contînt plusieurs morts ou mourants ; c'était épouvantable
; il faut avoir parcouru les abords du fort de Vaux pour se rendre compte
d'un tel massacre. "
Les 2 compagnies du 238e
R.I. (22e et 23e), s'élancent de la tranchée Besançon,
sur la face ouest du fort.
En voyant approcher la 22e compagnie, l'ennemi évacue les tranchées
en avant du fort, ce qui permet aux Français d'atteindre assez
facilement le fossé et de s'étendre vers la face nord. Cependant,
les mitrailleuses allemandes installées sur la superstructure ouvrent
le feu et causent des ravages dans la troupe, qui est bloquée contre
la paroi et qui tente désespérément de l'escalader.
A 4 h, il ne reste plus que 30 hommes, dont 17 blessés. Les Allemands
s'élancent sur eux et les font prisonniers.
La 23e compagnie qui a
été quelque peu retardée par l'encombrant matériel
qu'elle doit charrier (échelles, mitrailleuses, munitions) atteint
à son tour le fossé du fort. Elle doit cependant renoncer
à y descendre, se serait une mort certaine que de tenter de traverser
ce couloir pris d'enfilade par un grand nombre de mitrailleuses allemandes.
La troupe se résigne à rester dans les énormes trous
d'obus qui précédent le fossé.
A la nuit, la 23e compagnie du 238e R.I. regagne la tranchée Besançon
qu'elle a quittée le matin.
Témoignage de Georges QUETIN, soldat
au 238e R.I. : "
Le 238e d'infanterie est remonté en face du fort de Vaux au moment
de l'attaque. Quelques jours plus tard, j'ai assisté à l'appel
d'une compagnie : un seul caporal à répondu présent
pour toute sa compagnie. J'ai vu cet homme pleurer en entrant dans le
cantonnement et appeler ses camarades disparus. "
Du fort, les assiégés torturés
par la soif ont assisté impuissants à l'infortune des 4
compagnies venues les délivrer. Les réserves d'eau sont
pratiquement épuisé, le commandant Raynal lance à
6 h 30 un ultime message optique au fort de Souville, déchiffré
comme cela : "
interviendrez avant complet épuisement
Vive la France
! "
Descriptif de la distribution d'eau durant les 6 jours de siège
donnée par le médecin auxiliaire Gaillard
: "
La seule boisson en usage au fort de Vaux était l'eau de la citerne,
javellisée à trois gouttes par litre, filtrée et
aérée par le médecin du fort et moi.
Distribution : 1er juin, néant ; 2 juin, 1 litre par homme ; 3
juin, ¾ de litre par homme ; 4 juin, néant ; 5 juin, ½
litre par homme ; 6 juin, néant. "
Dans les casemates ou à l'infirmerie,
ou une 100e de blessés agonisent sans soin, plusieurs hommes boivent
leur urine.
La nouvelle attaque sur Vaux venant d'échouer
à son tour, le général Nivelle réitère
en formant sur le champ une brigade composée du 2e Zouave et du
R.I.C.M. (Régiment d'Infanterie Colonial du Maroc).
Sa mission est de nouveau de reconquérir entièrement le
fort. Elle est fixée pour le 8 à 4 h 30.
Témoignage du commandant P
: "
L'histoire de la formation de cette brigade mérite d'être
relatée en détail, non à cause de son importance
propre, mais à cause de la connaissance qu'elle donne de la mentalité
d'un chef qui s'est cru et à qui l'on a voulu faire croire qu'il
était un grand chef.
Le général avait exposé son idée de secourir
à tout prix le fort de Vaux à son chef d'état-major
sous prétexte que "l'honneur était engagé".
Celui-ci avait fortement cherché à dissuader le général,
mais sans succès et le général décida de se
rendre à R., sur la rive gauche, en y convoquant tous les chefs
de groupement et de division. Le chef d'état-major, désireux
de tout tenter pour arrêter le général me désigna,
pour l'accompagner (j'avais déjà commandé au front
un bataillon d'infanterie et un bataillon de chasseurs, et je possédais
la pleine confiance du général comme fantassin) en me priant
de faire tout ce qu'il serait possible pour amener le général
à renoncer à cette fantaisie. "Du reste, ajoutait-il,
le général vous mettra lui-même au courant pendant
le trajet
"
En voiture, voyant que le général ne disait rien, je lui
demandais : -Mon général, le chef d'état-major m'a
prié de vous rappeler que vous deviez au cours de la route me mettre
au courant de vos intentions.
- Ah ! oui, répondit le général, mais je n'ai pas
encore pris de décision. Le chef d'état-major avait pensé
qu'on pourrait former une brigade de marche en prélevant des troupes
sur la rive gauche, et la transporter sur la rive droite pour reprendre
le fort de Vaux la nuit prochaine.
- Mais, mon général, m'écriais-je, c'est insensé
! Comment une pareille idée a-t-elle pu venir à un homme
comme votre chef d'état-major ? Ce n'est pas possible. C'est là,
au point de vue fantassin, une de ces erreurs qui coûtent cher,
et sans jamais avoir de résultats. Comment peut-on espérer
obtenir d'une brigade de marche, composée de régiments ou
de bataillons venus de partout, sous la conduite d'un chef inconnu d'eux,
sans la moindre cohésion, dans un secteur qui ne représente
qu'un chaos lunaire et tout à fait nouveau pour eux, avec les marmitages
que vous connaissez, ce qu'une division fraîche, bien encadrée,
avec toute son artillerie, n'a pu réussir il y a quelques jours
?
- L'honneur militaire exige que l'on fasse quelque chose.
- Oui, mon général, si quelque chose est possible, mais
pas si ce quelque chose n'a comme effet que la destruction de nouvelles
unités, sans résultat. Le fort me paraît à
bout de forces. J'ai vu hier l'aspirant Buffet au moment où il
arrivait du fort, et je sais par lui que la situation dans le fort semble
assez trouble. Je connais Raynal, il est énergique, il fera tout
ce qu'il pourra, et vraiment qui oserait dire que l'honneur n'est pas
satisfait ?
Le général se tut ; et le silence dure jusqu'à R.
A R. une vingtaine de généraux attendaient.
Ce fut une stupeur quand le général Nivelle eût exposé
son projet, qui était bien le sien, bien qu'il eût semblé
vouloir en donner la paternité à son chef d'état-major.
Le général N
protesta hautement. Le général
de M
ancien commandant d'une Armée, qui avait accepté
ensuite le commandement d'un Corps d'Armée venu du Midi, exposa
au général Nivelle, que bien entendu, l'ordre serait exécuté
s'il était donné, mais qu'il estimait ce projet voué
d'avance à l'insuccès, que vraiment une formation de marche,
aussi hétérogène que celle que l'on pourrait former
dans un secteur où n'existaient plus de réserves, n'avait
pas la moindre chance de réussite, que les pertes seraient élevées
et qu'on pouvait se demander si la reconquête du fort valait un
tel sacrifice.
Le général Nivelle maintint son point du vue, et demanda
à chacun des chefs présents de mettre à sa disposition
ses unités disponibles. Il fut convenu enfin que le général
Savy, désigné pour prendre le commandement de la brigade
de marche, aurait sous ses ordres le régiment colonial du Maroc
et un régiment mixte venu d'une autre division. Les troupes étaient
en 2e ligne et devaient entrer en 1er ligne dans la nuit suivante (du
6 au 7). On les ferait redescendre, transporter par camions, et elles
monteraient (dans la nuit du 7 au 8) dans le secteur de Souville-Tavannes
pour attaquer le 8 au matin soit 2 jours successifs passés en camion
et 3 nuits à monter en secteur où à redescendre.
C'est ce qu'on appelait des troupes "fraîches".
Le général Nivelle me dit : "Maintenant que tout est
d'accord, écrivez l'ordre, je signerai votre original."
Je m'inclinais et fit l'ordre que le général signa aussitôt
et qui fut remis immédiatement au général commandant
le groupement.
Le général de M
, qui m'avait eu comme élève
à l'Ecole de guerre, se rapprocha de moi et me dit : "Mon
pauvre P
, quel métier on vous fait faire ! Mais vous ne pouviez
pas ne pas obéir. "
Si j'ai relaté ces faits, c'est que pour moi ils sont infiniment
précieux pour déceler le caractère d'un homme. Le
général Nivelle, venu de l'Afrique, n'était en rien
préparé au rôle qu'il eut à jouer. Très
brillant soldat, celui de Quennevières, il ignorait tout de la
conduite des Armées. L'immense confiance en soi, l'entêtement
orgueilleux, le goût de la flatterie, une vanité enfantine
qui se gonflait du moindre éloge, venant de n'importe qui, tout
cela s'est développé, amplifié à Souilly dans
d'immenses proportions et appelait une catastrophe.
On comprend mieux les événements d'avril 1917 (remplacement
de Nivelle par Pétain) à la lumière de petits incidents
comme celui que je viens de raconter. "
7 juin - Capitulation du
fort de Vaux (rive droite)
A 3 h du matin, le commandant Raynal décide d'envoyer un émissaire
pour parlementer avec l'ennemi, le sous-lieutenant Farges, de la 6e compagnie
du 142e R.I. Mais comment approcher de l'ennemi sans être accueilli
à coup de fusils ou de grenades ?
Témoignage
du commandant P
: " De
quelle façon le fort de Vaux a capitulé : Dans la nuit du
6 au 7 juin, le sous-lieutenant Fargues de la 6e compagnie du 142e R.I.,
a fait effort pour parlementer avec l'ennemi vers la casemate sud-ouest
de l'ouvrage. Le jour arrive sans aucune réponse et pourtant les
Allemands veillent de toutes parts. Vers 6 heures du matin, l'adjudant
Benazet obtient une réponse au barrage qui ferme le coffre double.
Immédiatement, le lieutenant allemand Muller-Verner est introduit
à l'intérieur auprès du commandant Raynal (commandant
en chef du fort). Toutes les conditions étant acceptées
et signées, il faut évacuer la place.
Les hommes déposent les armes, bien des larmes coulent, pas un
mot, un silence de mort plane sur ce morceau de France.
L'ennemi
présente les armes et puis, bien lentement, les héros du
fort de Vaux descendent vers l'exil.
Les Allemands entraient au milieu d'un grand silence, écrit le
caporal-brancardier Edmond Patry : on entendait le bruit de leurs bottes,
ils montaient l'escalier de pierre à la file indienne, l'officier
en tête, coiffé d'une casquette, suivi des téléphonistes,
pionniers, tous s'éclairant de leurs lampes électriques.
Les Français étaient rangés de chaque côté
de l'allée centrale du fort ; les Allemands passaient au milieu
et les saluaient. Ils appartenaient au 39e régiment d'infanterie
prussien.
L'évacuation se fit par la brèche nord-ouest. Au pied des
pentes du fort de Vaux, la plaine marécageuse et les trous d'obus
contenaient de l'eau. Tous se jetèrent sur cette eau pourtant pleine
de vase
Le
commandant Raynal fut conduit au Kronprinz (le prince héritier
allemand), puis emmené à Mayence.
Récit
du commandant RAYNAL : "Le
Kronprinz est debout, il m'accueille avec une courtoisie très franche.
Il n'est pas laid ; ce n'est pas le singe qu'on fait de lui les crayons
qui l'ont caricaturé ; c'est un cavalier mince et souple, élégant
et non sans grâce, qui n'a rien de la raideur boche.
Le Kronprinz parle, il s'exprime avec facilité, dans un français
assez pur.
Il reconnaît et vante comme il sied la ténacité de
nos hommes, leur admirable vaillance. "Admirable" : il répète
plusieurs fois ce mot. Le Kronprinz me remet la copie du message par lequel
notre général en chef envoyait ses félicitations
au fort de Vaux.
Maintenant l'héritier du kaiser arrive au geste noble :
- Désireux d'honorer votre vaillance, mon commandant, j'ai fait
rechercher votre épée que je me dois de vous rendre ; malheureusement,
on n'a pu le retrouver
Et pour cause, suis-je tenté de glisser
: je n'ai eu pour toute arme personnelle que ma canne de blessé
et mon revolver.
Il poursuit, en me présentant le coupe-choux d'un sapeur du génie
:
- Je n'ai pu me procurer que cette arme modeste d'un simple soldat, et
je vous prie de l'accepter.
Mon premier mouvement est de me hérisser ; mais le Kronprinz ne
se moque pas de moi, c'est très sérieusement qu'il accomplit
son geste, et comme l'effet ne lui en échappe pas, il insiste sur
l'intention qui donne à ce geste sa véritable portée
:
- L'arme est modeste, mais glorieuse, mon commandant, et j'y vois, comme
dans l'épée la plus fière, le symbole de la valeur
française
Je ne peux plus refuser :
- Ainsi présenté, j'accepte cette arme et remercie Votre
Altesse de l'hommage qu'elle rend à la grandeur de mes humbles
camarades.
C'est tout, je salue militairement et m'en vais en emportant mon coupe-choux.
Nous n'avons pas fait cent mètres que :
- Herr major, Son Altesse Impérial vous prie de revenir.
Je regagne le quartier général du Kronprinz. Comme je pénètre
dans le bureau par une porte, il sort d'une autre pièce et vient
à moi, tout épanoui : il tient une épée à
deux mains, un sabre-épée d'officier français :
- J'ai trouvé, mon commandant. Je vous prie d'accepter cette arme
plus digne de vous, en échange de celle que je vous ai offerte,
à défaut d'une autre. "
Commandant Raynal prisonnier
Ce n'est que par le communiqué
allemand fait le soir, que la France apprend la chute du fort.
Aussi, le général Nivelle maintient son ordre d'attaque
prévu pour le lendemain.
Bilan du siège
du fort de Vaux :
Lorsque que l'on étudie de plus près la capitulation du
fort de Vaux, dû principalement à la soif et non à
la conquête des organes principaux du fort par l'ennemi, on ne peut
s'empêcher de penser qu'elle aurait été l'issue si
au 1er juin, les citernes avaient été pleines et la défense
du fort correctement menée.
En effet, durant les mois précédents, rien n'avait été
fait pour redonner au fort sa puissance de feu, et l'on mourrait de soif
déjà bien avant le mois de juin.
Le lieutenant Borgoltz, qui avait fait une reconnaissance au fort le 6
mars, avait relevé de nombreuses malveillances qu'il avait remontées
à sa hiérarchie. Cependant, aucune mesure n'a été
prise.
Voici les grandes lignes du compte rendu établi par le lieurenant
Borgoltz : "
nous gagnons la tourelle qui est désarmée de ses
pièces de 75
Telle qu'elle est, on pourrait y mettre des
mitrailleuses en batterie destinées à balayer les glacis
en cas d'attaque. "
"
les deux casernes de Bourges et les coffres flanquants,
sont intacts. Nous sommes très surpris de trouver ces organes sans
défenseurs, les casemates de Bourges étant d'ailleurs désarmées
de leur 75 et remplie d'explosifs. Etrange conception de l'utilisation
d'un ouvrage fortifié qui consiste à préparer tout
pour le détruire et rien pour le défendre. Quelle lourde
responsabilité pour le chef qui a donné l'ordre de prendre
de pareilles mesures ! "
"
Par les embrasures des coffres de flanquement, nous voyons
des partions entières de contrescarpe renversées dans les
fossés. Le flanquement par les coffres est rendu plus difficile
en raison de ces éboulements. Il faudrait une section du génie
pour diriger et faire exécuter les travaux de déblaiement
ainsi que pour mettre en place des réseaux Brun barbelés
afin de rétablir l'obstacle et obstruer les brèches. "
" Les communications à découvert avec le plateau en
arrière du fort sont précaires et très périlleuses
en raison de l'arrosage constant de tous calibres, entretenu par les Allemands,
qui gênent les ravitaillements. Pourquoi, depuis que l'on est fixé
sur cette façon de procéder des Allemands, l'ordre n'a-t-il
pas été donné de creuser une galerie suffisamment
profonde du 350 à 400 mètres de longueur, pourvue à
ses deux extrémités de deux ou trois sorties, vers la lisière
nord des bois de la Vaux-Régnier. Ainsi seraient assurés,
en tout temps, en toute sécurité, malgré le bombardement,
la relève du personnel ainsi que le ravitaillement en vivres, eau,
matériel et munitions de la garnison de défense. D'où
possibilité de prolonger la résistance en limitant les fatigues
et réduisant les pertes. "
" Les chambrées étaient bondées, les couloirs,
les escaliers, les latrines, tout était encombré de soldats
qui dormaient, somnolaient, causaient, fumaient, en attendant leur tour
d'aller risquer leur vie au parapet. " " Les citernes baissaient
rapidement, car les tuyaux qui leur amenaient l'eau des sources de Tavannes
avaient été crevés par les gros obus. A partir du
11, la ration fut fixée à un quart par homme et par jour.
Le 13, déjà, les citernes étaient presque vides ;
ce jour-là, pour puiser et distribuer l'eau, ou plutôt la
boue, un soldat descendait dans la citerne, grattait le fond avec son
quart et versait ce qu'il pouvait recueillir dans le bidon qu'on lui tendait.
Dés lors, il fallut que les hommes de corvée allassent,
au prix des pires dangers, chercher à Tavannes l'eau indispensable.
"
8 juin - Tentative
de reprise du fort de Vaux (rive droite)
Durant la nuit, le 2e Zouave part pour
prendre ses positions de départ. Ne connaissant pas du tout le
secteur, il doit être guidé depuis le fort de Tavannes par
des hommes du 298e R.I. revenus spécialement du secteur du fort
de Vaux. Cependant, aucun de ces hommes ne parvient à traverser
le barrage d'artillerie allemand. C'est donc seul et avec du retard, que
le 2e Zouave prend la direction du fort.
Quand il arrive sur ses bases de départ sous une pluie battante,
il ne reste que très peu de temps avant l'heure H. Les hommes sont
trempés et complètement épuisés.
Au moment de l'assaut, les obus de 210 allemands font des ravages dans
les rangs qui avancent. Bientôt, tous les officiers les plus gradés
sont tués. C'est sur l'ordre d'un sous-lieutenant, que les survivants,
à bout de force, retournent vers l'arrière.
De son côté,
le R.I.C.M. est arrivé comme prévu sur ses positions de
départ. A 4 h, il part à l'assaut et atteint le fossé
du fort où il engage une sévère lutte à la
grenade. Cependant, les Allemands ont installé de nombreuses mitrailleuses
sur la superstructure et leurs tirs causent des ravages dans le groupe
français.
Ce n'est que lorsqu'il ne
reste plus qu'un officier et 25 hommes par compagnie que le R.I.C.M. cesse
sa progression désespérée et se terre sur place.
L'attaque sur laquelle le
général Nivelle fondait tous ses espoirs a donc échoué
comme toutes les précédentes. Les pertes qu'ont subi le
2e Zouave et le R.I.C.M. ont été cruelles, les Marocains
ont perdu 95% de leur effectif.
15 octobre -
Préparation de la seconde grande
offensive pour reprendre les forts de Douaumont
et Vaux
De gros travaux sont entrepris en préparation de la grande offensive
prévue fin octobre. Les préparatifs comprennent, la liaison
téléphonique avec les 1e lignes par câbles enterrés,
l'approfondissement des tranchées et leur transformation en parallèles
de départ, la création d'abris et de P.C.
Partout, la pioche s'enfonce dans les cadavres, les travailleurs se mettent
des gousses d'ail dans les narines pour échapper à l'odeur
épouvantable.
Le 15 octobre, tous les préparatifs sont prêts.
21 octobre
La préparation d'artillerie françaises débute. 654
pièces dont 20 de très gros calibres opèrent un barrage
roulant qui progresse de 100 m toutes les 4 minutes. Aucun abri, aucune
voie de communication, aucune tranchée, aucune batterie ennemie
n'est épargné. C'est un déluge de fer et d'acier.
Les plus gros obus sont réservés pour les forts de Douaumont
et de Vaux qui sont les 2 points stratégiques à reconquérir.
22 octobre
Une attaque française est simulée par l'allongement subit
du tir d'artillerie et par des mouvements dans les tranchées françaises.
Cette ruse permet le repérage de nombreuses batteries ennemies
nouvellement mises en place.
Toutes les batteries allemandes ainsi repérées
sont systématiquement pilonnées. Les tirs sont ajustés
avec l'aide de l'aviation française qui domine le ciel de Verdun
depuis plusieurs jours.
23 octobre
Vers 8 h, la préparation d'artillerie française s'intensifie.
Dans la nuit, les régiments des
38e, 74e et 133e D.I qui attendent depuis une 20e de jours entre Bar-le-Duc
et Saint-Dizier, gagnent Verdun et prennent position dans les parallèles
de départ.
Face à eux, ils ont 7 divisions allemandes mais très étalées
en profondeur. Les 1e lignes ne sont en fait occupées que par 22
bataillons ennemis.
24 octobre
Dans la matinée, un certain
nombre d'Allemands sortent de leur tranchée et viennent se porter
prisonniers dans les lignes françaises. Ils ont face à eux
3 divisions françaises ; la 38e, la 74e et la 133e D.I.
A 11 h 40, par un brouillard assez dense,
c'est le déclenchement de l'offensive française. Chaque
unité se dirige à la boussole sur un terrain lourd et glissant.
La 74e D.I. (50e et 71e B.C.P., 222e, 229e,
230e, 299e et 333e R.I.) renforcée par le 30e R.I à pour
objectifs de s'emparer du Chênois, du bois Fumin, puis du fort de
Vaux. Ses positions de départ vont de la Haie-Renard au font de
Beaupré.
A 11 h 40, le 230e R.I. s'élance
et atteint le bois Fumin où il est pris sous un feu très
nourri. Les pertes sont lourdes. Il est bloqué à cet endroit
tout le reste de la journée.
A 11 h 40, le 333e R.I. s'élance
et s'empare de l'ouvrage des Grandes-Carrières à 12 h 15.
Il tente ensuite d'atteindre les Petites-Carrières nord pour contourner
le fort de Vaux par l'ouest.
Malgré l'aide du 50e B.C.P., il ne peut exécuter ce mouvement.
Les compagnies se fortifient sur place.
S'abat alors sur ses positions un violent bombardement de l'artillerie
française qui n'est pas au courant des nouvelles positions de son
infanterie. Il est contraint de reculer et de laisser le terrain qu'il
vient de conquérir.
A 11 h 40, le 299e R.I. s'élance
et tombe aussitôt sur les tranchées Clausewitz et Seydlitz
protégées par des barbelés intacts et fortement occupés.
Toute la journée, il se bat à la grenade.
De 20 h à minuit, renforcé d'éléments des
50e et 71e B.C.P., il parvient à enfoncer la ligne ennemie.
Les pertes sanglantes qu'il a subies ne lui permettent pas de continuer.
Il se fortifie sur place.
A 11 h 40, le 222e R.I. s'élance
et s'empare de l'abri dit "du combat". Il poursuit sa marche
et parvient ensuite à enlever la batterie de Damloup. Il ne peut
progresser plus avant.
En résumé, au soir, la 74e
D.I. a mené une lutte acharnée mais n'est pas parvenue à
atteindre ses objectifs. A savoir, le plateau et le fort de Vaux.
Les embrasures de la caserne (que
l'on distingue sur la photo de gauche)
25 octobre
Le général Mangin prévoit de reconquérir le
fort de Vaux aujourd'hui même, mais
aucun régiment ne parvient à améliorer ses positions.
Le bombardement allemand a été trop violent dans le secteur
de Vaux.
26 au 31 octobre - Nouvelle préparation
d'artillerie française sur le fort de Vaux
Le général Nivelle réitère sa volonté
pressante de reprendre le fort de Vaux.
Les divisions qui ont attaqué le 24 sont épuisées
et sont relevées.
L'artillerie française débute sa nouvelle préparation
d'artillerie sur le fort de Vaux et ses alentours.
De son côté, le bombardement allemand est toujours très
violent et aucune nouvelle progression française n'est signalée.
1er novembre - L'armée allemande
évacue d'elle même le fort de Vaux
Dans la nuit, les Allemands évacuent
d'eux mêmes le fort de Vaux, se résignant à leur défaite.
2 novembre
Une conversation allemande par radio est interceptée et apprend
aux Français que le fort de Vaux a été évacué
dans la nuit.
Une compagnie du 118e R.I. et une autre du 298e R.I. sont chargées
d'aller vérifier l'exactitude de l'information. Le 118e abordera
le fort par la face nord alors que le 298e approchera par la face sud.
L'opération doit s'exécuter dans la nuit.
3 novembre - Reconquête du fort
de Vaux.
A 1 h, les 2 compagnies arrivent dans le fossé du fort, escalade
la superstructure et se retrouvent sur le toit. Elles pénètrent
ensemble dans le fort par un trou d'obus bouché de sac de terre
que les hommes défoncent à coups de pioche.
Dans l'enceinte, elles ne trouvent que les traces de la fuite précipitée
des Allemands ; armes, munitions, eau minérale ; etc
A 2 h 30, le fort de Vaux est définitivement
libéré.
Le fort de nos jours
:
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