Le fort de Vaux

 

Le fort de Vaux a été construit entre 1881 et 1884 par le général Séré de Rivières. De taille modeste, il culmine à 350 m et domine le village de Vaux et toute la plaine est de la Woëvre.

Réalisé en maçonnerie simple, sa construction devient vite obsolète en raison du développement rapide des explosifs et des projectiles. Le fort subit donc d'importantes transformations entre 1888 et 1905.
Les 2 coffres simples et le coffre double sont construits à chaque extrémité. Trois galeries sont creusées pour accéder à chacun d'eux, elles sont protégées par une couche de béton de 1,25 m.
La cour intérieure est supprimée et la tourelle de 75 ainsi que les 3 observatoires sont construits.
Dans la caserne, 7 casemates sont conservées sur les 11 initiales. Elles sont recouvertes d'une couche de sable d'amortissement de 1 m d'épaisseur et de 2.5 m de béton.
Les 2 casemates de Bourges sont construites. Leur rôle est d'assurer la couverture du côté ouest : le fort de Douaumont (distant de 3200 m), la partie ouest du bois d'Hardaumont, le ravin de la Fausse Côte, le bois de la Caillette et le ravin du Bazil ; et du côté est : le fort de Moulainville. Chacune est équipée de 2 canons de 75.
Les fossés d'une largeur de 10 m et d'une profondeur de 5 m sont équipés de grilles métalliques pour gêner leur franchissement. Ils sont précédées d'un réseau de fil de fer de 20 m de large.

Au début de la guerre, le fort compte 6 canons de 75 et 4 canons revolvers. Cependant, comme pour le fort de Douaumont, le décret du 5 août 1915 préconise la suppression de l'armement et des approvisionnements. De ce fait, les canons des casemates de Bourges sont enlevés mais la tourelle de 75 (qui contient 2 canons), dont le démontage présente quelques difficultés, est laissée en place.

Ce décret prévoie en effet le désarmement de toutes les fortifications fixes de la ceinture fortifiée de Verdun. Le commandement suprême a pensé qu'elles étaient devenues inutiles, ce qui est somme toute défendable dans la situation de la guerre en août 1915.
Cela, pour plusieurs raisons : Ces fortifications ont un rôle passif par rapport aux armées de campagnes sur lesquelles on mise tout en 1915. Elles sont pilonnées et détruites par l'artillerie lourde ; Elles nécessitent une énorme consommation de munitions qui doivent être acheminée par des voies qu'il faut sécuriser ; Ces obus lourds et la logistique qu'il faut déployer pour les acheminer en sécurité pourrait être employées plus utilement sur d'autres points du front.

 

Plans du fort :

 

Coupe suivant XY

 

 

Historique du fort :

Jusqu'à l'assaut Allemand sur Verdun le 21 février 1916, le fort subit quelques tirs d'artillerie.
Le 18 février 1915, quelques obus de 420 sont lancés sur le fort et provoquent de sérieux dommages à la tourelle de 75 et aux murs de contrescarpe.
Le 26 février 1915, de nouveaux obus détruisent la dalle menant à la tourelle de 75, ainsi qu'un observatoire. Ce 26 février, 129 obus de 380 et 420 mm s'abattent sur l'édifice.

 

Durant les mois d'avril et de mai 1916, le fort subit à de nombreuses reprises de très violents bombardements.
Journées du 2 au 17 mai 1916. Témoignage de L. LAURENT, caporal à la 7/51 compagnie de génie : " Nous avons vécu au fort de Vaux pendant 15 jours, du 2 au 17 mai. Huit mille obus tombaient chaque jour sur le fort et ses environs, et ceci par journée calme. On vivait dans la crasse, barbe de 15 jours, couverts de poux, au milieu d'une âcre odeur de sang venant de l'infirmerie, simple casemate où l'on entassait les blessés et où les morts attendaient qu'on les jette comme l'on pouvait, la nuit, dans une fosse. On pataugeait dans l'urine aux W.C. où l'ammoniaque rendait l'air irrespirable. Partout, dans les couloirs, les hommes étaient entassés, couchant pêle-mêle dans les positions les plus diverses. Le degré de fatigue de tous était tel, qu'il suffisait de s'asseoir ou de se coucher quelques secondes pour dormir, dormir comme jamais nous ne dormirons plus. "

24 mai
Le commandant Raynal du 96e R.I. prend le commandement du fort de Vaux.

 

 

 

1er juin - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
Au début du mois de juin, le fort est toujours commandé par le commandant Raynal du 96e R.I. Sa garnison est composée de 600 hommes alors qu'elle ne peu théoriquement n'en contenir que 250 : le 2e bataillon du 142e R.I., qui forme la garnison intérieur du fort et tient les abords extérieurs est ; mais également des blessés, des restes d'unités décimées, des égarés accidentellement qui naturellement sont venus s'abriter là et que l'on ne peut rejeter à la mort. Certains ont été évacués durant la nuit, mais depuis plusieurs jours, plus personne ne rentre ni ne sort ; 8000 obus tombent 22 heures sur 24 sur la fortification, à chaque ouverture, un obus toxique tombe toutes les 5 secondes. Des murs de sacs de sable ont été érigés à chaque accés afin que les gaz pénètrent le moins possible.
Dans le fort, la vie est insupportable. Témoignage du lieutenant Albert CHEREL : " Il y en avait de tous les calibres : du 77, du 105, à l'éclatement déchirant ; du 210, du 380, que les soldats avaient surnommé le "Nord-Sud"à cause du grondement strident de son sillage dans l'air ; peut-être du 420, car on en trouva un culot près du corps de garde le lendemain. Ces obus, à certains moments, tombaient à la cadence de 6 par minute. Il nous semblait vivre au milieu d'une effroyable tempête. "
Témoignage du lieutenant Albert CHEREL : " Le fort de Vaux qui avait été bâti pour contenir une compagnie, en logeait maintenant 6. La circulation était devenue difficile. L'air était peu respirable, d'autant plus que, sans cesse, les obus éclatant près des fenêtres ou des entrées lançaient dans les couloirs leur fumée ou la poussière de terre et de pierre qu'ils faisaient jaillir.
La poussière avait un autre inconvénient ; elle augmentait la soif et la rendait insupportable. "

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, le 3e bataillon du 28e R.I. est en ligne non loin du fort. Il est soumis au bombardement intense que les Allemands produisent sur le secteur du fort. Dans l'obscurité, blottis au font de leur tranchée, les hommes succombent les uns après les autres. Chacun attend l'éclat qui le tuera. A l'aube, le bataillon est entièrement anéanti.
Sa disparition permet à l'ennemi d'avance et de progresser ainsi jusqu'au ravin du Bazil.

Un coureur est parvenu à rallier le 1er bataillon du 28e qui est en arrière, en soutien. Le bataillon se porte aussitôt en avant pour contre-attaquer, malgré le tir de barrage allemand qui n'a pas faibli. Il est à son tour anéanti et réduit à 8 hommes en un instant. Il faut noter que de nombreux obus français tombent également, par erreur, au même endroit.

Les Allemands poursuivent leur progression et contournent les 1er et 3e bataillons du 5e R.I., déjà réduit de moitié par le bombardement des dernières heures.
Le 3e bataillon du 119e R.I. est alerté et reçoit l'ordre de monter en ligne en urgence. Il part de Verdun en plein jour et parvient à rejoindre le 5e R.I. Ensemble, ils réussissent à stopper l'ennemi, mais le ravin du Bazil est déjà fortement investi et ne peut être repris. La position des 2 régiments français reste donc très précaire.

Dans la matinée, le 24e R.I. qui est en ligne au saillant d'Hardaumont, subit une 1ère attaque qu'il parvient à repousser à la grenade. Un peu plus tard, une seconde attaque plus compacte est lancée, les hommes se battent jusqu'à épuisement total. Les derniers survivants sont fait prisonniers.
Les Allemands avancent et occupent le saillant d'Hardaumont, puis bientôt, le ravin de la Fausse-Côte. Ils franchissent la digue puis, après plusieurs heures de combat, atteignent le bois Fumin et les retranchements R2 et R3.

Durant cette journée, tous les éléments français qui se sont trouvés face à l'ennemi ont été soit chassés, soit anéantis, soit fait prisonniers. L'ennemi a réalisé une avancé importante. De la position qu'il occupe désormais, il est bien placé pour attaquer le fort de Vaux par l'est.

La 52e D.I. (49e et 58e B.C.P., 245e, 291e, 320e, 347e et 348e R.I.) est mise à la disposition de la 6e D.I.

 

2 juin - Perte du village de Damloup - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
Depuis plusieurs heures, un intense bombardement par obus asphyxiants s'abat sur le secteur du fort de du village de Damloup.
Lorsqu'à l'aube, le bombardement s'arrête, le tir de barrage français ne prend par la relève. Les Allemands, 4 compagnies d'assaut, s'élancent sur le village de Damloup. Il est alors tenu par des éléments du 1er bataillon du 142e R.I. Le village tombe rapidement et les Allemands poursuivent leur progression en montant vers le fort de Vaux par le ravin de la Horgne.

Ils arrivent bientôt à proximité du coffre simple nord-est (les coffres de contrescarpe sont des ouvrages autonomes défendant le fossé intérieur du fort). Il est protégé par la 7e compagnie du 142e R.I., commandée par le capitaine Tabourot, et qui occupe le coffre lui-même et les abords proches.

Le combat s'engage aussitôt, mais bientôt, les positions avancées sont contournées par l'ennemi. Le capitaine Tabourot, les 2 jambes déchiquetées par une grenade, ordonne aux survivants de se replier dans le coffre simple. Le capitaine Tabourot parvient à se traîner sur ses moignons jusqu'à l'entrée ou il est emporté à l'infirmerie.

 

Les Allemands tentent alors de pénétrer dans le coffre. Les Français reculent dans la galerie d'accès, 1 m 50 de haut, moins de 1 m de large, et établissent un barrage avec des havresacs. Les Allemands le font sauter, il est rétabli un peu en arrière. Ce dernier barrage parvient à être défendu durant plusieurs heures mais après 3 tentatives, les Allemands parviennent également à le faire sauter. Un 3e barrage de sacs de sable est mis en place plus en retrait, derrière le premier portail en fer.
Jusqu'au soir, les Allalleùands emploieront tous les stratagèmes pour tenter de faire sauter la porte mais n'y parviendront pas.

Pendant ce temps, un petit groupe de pionniers Allemands est descendu dans le fossé, large de 10 m et profond de 5, comblé en partie de blocs de béton, a escaladé le mur de contrescarpe et a atteint la superstructure du fort. Il est soumis à des tirs venant de 2 mitrailleuses installées dans des brèches ainsi que venant du coffre double nord-ouest.

Les 2 mitrailleuses sont nettoyées à la grenade à main et quelques pionniers se dirigent en rampant vers le coffre double et parviennent à se hisser sur le toit.
Tout est prévu, ils ont emporté le matériel nécessaire. Grâce à des tuyaux coudés positionnés devant les embrasures, ils enfument le coffre avec des lance-flammes. Les mitrailleuses se taisent. Cependant, elles ne tardent pas à tirer à nouveau lorsque la fumée s'est dissipée. Il faut tenter autre chose… Ils descendent des grenades dans des sacs de terre, qu'ils font exploser au niveau des ouvertures, tuant les occupants et mettant les pièces hors de service.

A 17 h, la situation du coffre nord-ouest est devenue critique. Le commandant Raynal ordonne l'abandon du coffre et le replie dans le couloir d'accès, ou un barrage de sac de sable est mis en place.
Témoignage du commandant Raynal : " Le sous-lieutenant Denizet de l'artillerie, qui défend le coffre double, vient me rendre compte que les Allemands, qui sont au-dessus de sa tête, ont, à l'aide de cordes, descendu des paniers de grenades juste à hauteur de nos embrasures, les ont fait exploser et ont mis des pièces hors de service.
D'autres Allemands, rencontrant sous leurs pieds le travail que j'avais fait faire pour boucher un trou de cinq mètres percé dans la voûte par l'explosion d'un 380, ont défait de travail et l'on aperçoit leurs têtes grimaçantes se dessiner sur le fond du ciel. En lançant des grenades par ce trou, l'ennemi peut couper les défenseurs du coffre double. Je décide que ce coffre, dont les pièces sont maintenant inutilisables, sera évacué et je me clôture de ce côté, par un barrage, construit avec créneaux pour grenadiers, en arrière de l'ouverture percée par le 380. "

Dés lors, l'ennemi est maître des 2 coffres nord-ouest et nord-est ainsi qu'une partie de la superstructure. Il ne peut reculer, il va, coûte que coûte, engager une lutte à mort pour conquérir le fort. Les Français, impuissants, prisonniers dans la fortification, vont défendre chaque couloir, chaque ouverture, avec acharnement.

En début d'après-midi, la 4e et la 11e compagnies du 142e R.I. contre-attaquent le village de Damloup, elles sont anéanties par les obus avant d'atteindre le village.

Jusqu'au soir, les combats dans le secteur du fort, sur sa superstructure et dans les galeries d'accès aux coffres ont été incessants, très violents et très meurtriers.

A la nuit, un bataillon du 53e R.I. et la 63e D.I. (216e, 238e, 292e, 298e, 305e et 321e R.I.) viennent renforcer les positions françases très précaires entre le fort et Damloup (le 298e se dirige sur Tavannes).

 

3 juin - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
A 2 h, le 2e bataillon du 75e R.I. tente une attaque vers la Caillette mais ne parvient pas à progresser. A 9h, une nouvelle tentative donne le même résultat.

Les 1er et 2e bataillon du 119e R.I. attaquent en haut du ravin du Bazil mais ne parviennent pas à forcer la ligne allemande. Plus tard, ils repoussent 2 violentes contre-attaques.

Le commandant Raynal envoie un pigeon à la citadelle de Verdun pour demander un tir d'artillerie sur les dessus du fort. Cependant, lorsque que l'oiseau arrive à destination, il est blessé et a perdu la bague contenant le message. Il était le suivant : " Les pertes de l'ennemi sont effroyables, mais il reçoit sans cesse des renforts, des troupes fraîches qui escaladent le fort, travaillent sur le dessus et autour de l'ouvrage. Il occupe nos anciennes tranchées qu'il a armées de mitrailleuses ; il est même parvenu à en installer sur le dessus du fort. "

Cependant, à 5 h, un avion français parvient à survoler l'ouvrage et à rendre compte de la situation. Peu de temps après, le tir que souhaitait le commandant Raynal s'abat sur le fort. Les pionniers allemands se réfugient dans les coffres de contrescarpes conquis la veille.

Dans la matinée, 2 bataillons du 53e R.I. qui sont en position dans le secteur du fort, reçoivent l'ordre de se porter au nord de l'ouvrage et de tenter une attaque. Leurs actions ne donnent aucun résultat mais il fallait s'y attendre, ses hommes sont trop épuisés par plusieurs jours de bombardement. Il est prévu de réaliser une attaque de plus grande envergure le lendemain à l'aube.
Toute la journée, les combats de taupes se poursuivent dans les 2 galeries enfumées qui relient les 2 coffres nord au cœur du fort. Mais la situation reste inchangée.


Quelques détails de ces combats, témoignage du Kurt Von Raden, correspondant de guerre allemand : " Un escalier descendait profondément, puis venait un court palier, puis un roide escalier montant jusqu'à une solide porte en chêne qui empêchait d'aller plus loin. Le lieutenant des pionniers Ruberg décida de faire sauter cette porte en y plaçant tout ce qu'il fallait de grenades à main et de mettre à profit la confusion qui s'ensuivrait pour donner l'assaut avec ses soldats. Pour n'être pas elle-même anéantie par l'explosion, il fallait que le troupe gagnât assez de temps pour pouvoir, la mèche une fois allumée, descendre l'escalier et remonter de l'autre côté, ce qui exigeait au moins un cordon brûlant vingt secondes.

Le lieutenant Ruberg, à défaut de pétards explosifs, lia donc ensemble une douzaine de grenades ; il les assujettissait contre la lourde porte, lorsqu'il entendit, derrière celle-ci, le chuchotement des Français et le petit crépitement significatif d'un cordon Bickford. Il n'avait donc plus le temps de la réflexion car, en une demi-minute au plus, la porte allait sauter de dedans, et les Français auraient, dans ce cas, la supériorité morale de l'assaut. Il fallait donc les devancer. Le lieutenant fit signe à ses hommes de se garer, tira le détonateur normal d'une des grenades à main qui fonctionne en cinq secondes, et se jeta au bas de l'escalier pour n'être pas lis en pièces. Il était à mi-chemin quand se produisit une formidable explosion : la charge posée par les Français sautait en même temps que l'autre, sous son action. La pression de l'air lança le lieutenant à quelques mètres plus loin, et il reçut dans le dos plusieurs éclats. Ses pionniers se jetèrent en avant dans le couloir, arrivèrent jusqu'à un croisement, mais furent alors reçus par deux mitrailleuses placées à angle droit environ à dix pas en arrière, si bien qu'il devint impossible de pousser plus loin. Il fallu patienter toute la nuit. "

Toute l'après-midi, le bombardement allemand est très violent sur les bois de Vaux-Chapitre, de la Vaux-Régnier et de la Montagne, les ouvrages de Souville et de Tavannes, la batterie de Damloup et ses abords.

 

4 juin - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
Dès 2 h, la contre-attaque prévue la veille par les Français est lancée. Cependant, un seul bataillon du 298e R.I. y participe. Il ne peut prétendre seul à débarrasser les éléments du fort des forces ennemis qui en sont maîtres. Il s'élance cependant avec courage et énergie, et parvient à reprendre un élément de tranchée au nord-ouest. Il ne pourra pas progresser d'avantage, soumis aux tirs des mitrailleuses allemandes venant des coffres de contrescarpe.

Le commandant Raynal qui a suivi cet assaut censé lui venir en aide, est de plus en plus inquiet. Il connaît le courage de ses hommes, il sait qu'ils se battront jusqu'au bout, mais si aucune aide lui vient de l'extérieur, comment pourra t-il remédier au manque d'air et au manque d'eau.
Le courage ne remplace pas la soif… " Tout le monde chercher un peu de fraîcheur contre les dalles ou contre les murs. Hélas ! la pierre est chaude. Les yeux brillent de fièvre, et l'on n'à touché qu'un quart d'eau depuis vingt-quatre heures. L'air est affreusement lourd : j'ai l'impression de me remuer sous une pile d'édredons. Une poignée de braves continue de soutenir le moral aux barrages, mais la masse commence à faiblir "

" Enfiévrés, les hommes ne demandaient qu'à boire et ne pouvaient goûter aux aliments. L'air était empoisonné par la fumée des gaz, de la poudre et de la poussière ; la couche était telle que les lampes s'éteignaient et que les lampes électriques n'arrivaient pas à percer sa profondeur à plus de 50 centimètres. Les hommes étaient si faibles qu'à chaque instant plusieurs tombaient en syncope. Les blessés, assez nombreux, ne pouvaient être soignés, faute de médicaments. "

A 11 h 30, le dernier pigeon du fort, matricule 787-15, vient d'être intoxiqué par les gaz, il va mourir. Alors que l'on tient la cage le plus haut possible, le commandant Raynal rédige son dernier message : " Nous tenons toujours, mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées, très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager. Faites nous donner de suite communication optique par Souville, qui ne répond pas à nos appels. C'est notre dernier pigeon. "
Lorsque qu'il prend son envole, il pauvre oiseaux est désorienté et vient se reposer sur l'embrasure d'une meurtrière. Il est récupéré et envoyé à nouveau, mais cette fois, saluer par les mitrailleuses allemandes, il s'envole en direction de Verdun. Quelques dizaines de minutes plus tard, il rejoint le pigeonnier militaire de la citadelle de Verdun et expire. Il a accompli sa mission. Il recevra une bague d'honneur avec cette citation : " Malgré des difficultés énormes résultant d'une intense fumée et d'émission de gaz, a accompli la mission dont l'avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication de l'héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçu de cet officier. Fortement intoxiqué est arrivé mourant au colombier. "


Plaque commémorative du pigeon mat. 787.15
(visible au fort de Vaux
)

Comme la veille, les Allemands tentent toute la journée, par tous les moyens de forcer les barrages mis en place par les Français.
Témoignage du caporal brancardier Vanier, du 101e R.I. : " Les Allemands nous envoient du liquide enflammé ; une fumée noire entre dans les casemates, le bruit sourd des grenades nous arrive de plus en plus précis ; nous ne pouvons pas respirer ; nous sommes noirs comme des moricauds. Pour avoir de l'air, il faut ouvrir les fenêtres. Avec beaucoup de précautions, nous enlevons peu à peu les sacs de terre qui les protègent. Nous avons de la chance de ne pas voir d'Allemands dans le fossé. Quelques-uns sautent dehors pour pouvoir respirer. Mais il faut rentrer : ordre du commandant de refermer toutes issues.
Nous ne sommes pas au bout de nos épreuves : le barrage de droite vient de fléchier. Les Allemands trouvant que nous résistons trop ont pris les grands moyens : avec du pétrole enflammé, ils arrosent les défenseurs et parviennent ainsi à forcer le barrage… Quelques grenadiers nous arrivent avec diverses blessures, les cheveux, les sourcils roussis, plus rien d'humains, des êtres noirs, les yeux hagards, tout ce qui peut être brûlé et brûlé. Grosse émotion… quelques hommes commencent à perdre la tête… "

A 22 h, Raynal convoque tous les officiers encore valides afin de faire un point sur la situation. Elle n'est pas brillante… la soif est le plus gros problème et il ne va pas s'arranger. Les hommes sont voués à s'affaiblir indéniablement, heure après heure.
Raynal décide donc de tenter une évacuation cette nuit même, à la faveur de l'obscurité, de tous les hommes non indispensables à la défense et l'intendance du fort. Tous les soldats ne faisant pas partie de la garnison, mourant déjà de soif inutilement, doivent donc s'échapper vers les lignes françaises.

A 1 h 30 (le 5 juin), la troupe constituée se regroupe sous les ordres de l'aspirant Buffet.
Témoignage du caporal Guillantou : " Le moment du départ arrive. Il est 1 h 30. L'aspirant Buffet sort en tête. Je suis, et dès lors, me porte en avant. La mitrailleuse crépite, les fusées nous éclairent ; un violent tir de barrage nous accompagne, depuis les 305 jusqu'aux 77 ; c'est un déluge d'obus.
Qu'importe ! Notre groupe de neuf ne se rebute pas et continue son avance.
L'espace, quoique difficile et long à franchir, est bientôt parcouru.
Nous arrivons ainsi à une carrière appartenant aux lignes françaises ; le cri de " Halte-là ! " retentit. Immédiatement, plusieurs voix répondent " France ! "
Notre tâche était presque terminée ; l'évasion avait réussi. "

Une 100e d'hommes parviennent ainsi à rejoindre les lignes françaises.
L'aspirant Buffet est immédiatement conduit au fort de Tavannes, afin de rendre compte au commandant du secteur sur la situation du fort de Vaux. L'état major ainsi informé, met immédiatement sur pied une contre-attaque pour le 6 au matin.
Il faut maintenant que quelqu'un connaissant le secteur, regagne le fort afin de réaliser la liaison avec le commandant Raynal : " Tenez encore, nous allons contre-attaquer ". On propose la mission à l'aspirant
Buffet qui accepte aussitôt. Il repartira donc à la nuit vers le fort, accompagné du sergent Fretté, ayant également participé à l'évasion.

 

5 juin - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
C'est une nouvelle journée de lutte qui se déroule dans les coursives, les couloirs et les casemates. Mais tous les points stratégiques sont conservés au pris de souffrances inouïes.
Le bombardement allemand est très violent sur le fort et ses alentours. De nombreux obus français tirés trop court, viennent s'y ajouter.

A 4 reprises, le commandant Raynal tente l'envoi d'un message optique au fort de Souville.
A 1 h : " L'ennemi travaille, partie ouest du fort, à constituer un fourneau pour faire sauter voûte. Taper vite avec artillerie. "
A 8 h : " N'entendons pas notre artillerie. Sommes attaqués par gaz et liquides enflammés. Sommes à toute extrémité. "
A 21 h 45 puis à 23 h : " Il faut que je sois dégagé ce soir et que du ravitaillement en eau me parvienne immédiatement. Je vais toucher au bout de mes forces. Les troupes, hommes et gradés, en toutes circonstances, ont fait leur devoir jusqu'au bout. "

A minuit, l'aspirant Buffet et le sergent Fretté partent de Tavannes et parviennent à regagner le fort de Vaux. Ils sont accueillis très chaleureusement par le commandant Raynal auquel ils transmettent leur message d'espoir.
Ce message, bien que positif, n'est pas du tout satisfaisant. Seulement 4 compagnies (238e et 321e R.I.) sont prévues pour l'attaque, accompagnées de quelques pelotons du génie munis d'échelles spéciales, pour gravir la superstructure, comme au Moyen Age. Sans mettre en doute la valeur des combattants ni leur héroïsme, il est illusoire de croire que l'ennemi laissera avancer ces hommes équipés d'échelles. En ce qui concerne la préparation d'artillerie, aucun détail, alors qu'elle aurait du durer plusieurs jours pour être efficace, comme l'on fait les Allemands !
Le commandant Raynal est ses officiers doivent se résigner à l'action prévue par le G.Q.G., ils ferons de leur mieux…

 

6 juin - Pression allemande sur le fort de Vaux (rive droite)
A 2 h, l'attaque française qui doit dégager le fort s'élance. Elle est composée de 2 compagnies du 321e R.I. et de 2 du 238e R.I., ainsi que de quelques pelotons du 4e Génie équipés de matériels de franchissement.

Les 2 compagnies du 321e s'élancent sur la face est du fort et parviennent à traverser une première tranchée. Ils atteignent ensuite le fossé où elles sont accueillies par un puissant barrage à la grenade. Elles tentent désespérément de forcer le passage mais en quelques instants, tous les officiers et la moitié des effectifs sont tombés. Les débris des 2 compagnies se rassemblent et rejoignent leur point de départ sous un déluge de fer.
Témoignage de Jacques FERRANDON, soldat au 321e R.I. : " Le 6 juin, à 2 heures du matin, nous montions à l'attaque du fort de Vaux. Nous avançâmes jusqu'au moment où, ayant épuisé toutes nos munitions en grenades et, postés dans un entonnoir, nous tirions presque à bout portant sur l'ennemi, bien visible sous les fusées éclairantes.
Trop occupé à me battre, je n'entendis pas l'ordre de repli ; quand je m'aperçus que j'étais seul, je m'aplatis dans un trou. Ayant attaché mes armes et équipements à mes jambes, je pris en rampant le chemin du retour. Combien de temps m'a-t-il fallu, je ne puis le dire, mais ce que je vis fut affreux : partout des cadavres français et allemands, pêle-mêle. Je ne me détournais de l'un que pour passer sur un autre ; pas un trou qui ne contînt plusieurs morts ou mourants ; c'était épouvantable ; il faut avoir parcouru les abords du fort de Vaux pour se rendre compte d'un tel massacre. "


Les 2 compagnies du 238e R.I. (22e et 23e), s'élancent de la tranchée Besançon, sur la face ouest du fort.
En voyant approcher la 22e compagnie, l'ennemi évacue les tranchées en avant du fort, ce qui permet aux Français d'atteindre assez facilement le fossé et de s'étendre vers la face nord. Cependant, les mitrailleuses allemandes installées sur la superstructure ouvrent le feu et causent des ravages dans la troupe, qui est bloquée contre la paroi et qui tente désespérément de l'escalader.
A 4 h, il ne reste plus que 30 hommes, dont 17 blessés. Les Allemands s'élancent sur eux et les font prisonniers.

La 23e compagnie qui a été quelque peu retardée par l'encombrant matériel qu'elle doit charrier (échelles, mitrailleuses, munitions) atteint à son tour le fossé du fort. Elle doit cependant renoncer à y descendre, se serait une mort certaine que de tenter de traverser ce couloir pris d'enfilade par un grand nombre de mitrailleuses allemandes. La troupe se résigne à rester dans les énormes trous d'obus qui précédent le fossé.
A la nuit, la 23e compagnie du 238e R.I. regagne la tranchée Besançon qu'elle a quittée le matin.

Témoignage de Georges QUETIN, soldat au 238e R.I. : " Le 238e d'infanterie est remonté en face du fort de Vaux au moment de l'attaque. Quelques jours plus tard, j'ai assisté à l'appel d'une compagnie : un seul caporal à répondu présent pour toute sa compagnie. J'ai vu cet homme pleurer en entrant dans le cantonnement et appeler ses camarades disparus. "

Du fort, les assiégés torturés par la soif ont assisté impuissants à l'infortune des 4 compagnies venues les délivrer. Les réserves d'eau sont pratiquement épuisé, le commandant Raynal lance à 6 h 30 un ultime message optique au fort de Souville, déchiffré comme cela : " … interviendrez avant complet épuisement… Vive la France ! "
Descriptif de la distribution d'eau durant les 6 jours de siège donnée par le médecin auxiliaire Gaillard… :
" La seule boisson en usage au fort de Vaux était l'eau de la citerne, javellisée à trois gouttes par litre, filtrée et aérée par le médecin du fort et moi.
Distribution : 1er juin, néant ; 2 juin, 1 litre par homme ; 3 juin, ¾ de litre par homme ; 4 juin, néant ; 5 juin, ½ litre par homme ; 6 juin, néant. "

Dans les casemates ou à l'infirmerie, ou une 100e de blessés agonisent sans soin, plusieurs hommes boivent leur urine.

La nouvelle attaque sur Vaux venant d'échouer à son tour, le général Nivelle réitère en formant sur le champ une brigade composée du 2e Zouave et du R.I.C.M. (Régiment d'Infanterie Colonial du Maroc).
Sa mission est de nouveau de reconquérir entièrement le fort. Elle est fixée pour le 8 à 4 h 30.
Témoignage du commandant P… :
" L'histoire de la formation de cette brigade mérite d'être relatée en détail, non à cause de son importance propre, mais à cause de la connaissance qu'elle donne de la mentalité d'un chef qui s'est cru et à qui l'on a voulu faire croire qu'il était un grand chef.
Le général avait exposé son idée de secourir à tout prix le fort de Vaux à son chef d'état-major sous prétexte que "l'honneur était engagé". Celui-ci avait fortement cherché à dissuader le général, mais sans succès et le général décida de se rendre à R., sur la rive gauche, en y convoquant tous les chefs de groupement et de division. Le chef d'état-major, désireux de tout tenter pour arrêter le général me désigna, pour l'accompagner (j'avais déjà commandé au front un bataillon d'infanterie et un bataillon de chasseurs, et je possédais la pleine confiance du général comme fantassin) en me priant de faire tout ce qu'il serait possible pour amener le général à renoncer à cette fantaisie. "Du reste, ajoutait-il, le général vous mettra lui-même au courant pendant le trajet…"
En voiture, voyant que le général ne disait rien, je lui demandais : -Mon général, le chef d'état-major m'a prié de vous rappeler que vous deviez au cours de la route me mettre au courant de vos intentions.
- Ah ! oui, répondit le général, mais je n'ai pas encore pris de décision. Le chef d'état-major avait pensé qu'on pourrait former une brigade de marche en prélevant des troupes sur la rive gauche, et la transporter sur la rive droite pour reprendre le fort de Vaux la nuit prochaine.
- Mais, mon général, m'écriais-je, c'est insensé ! Comment une pareille idée a-t-elle pu venir à un homme comme votre chef d'état-major ? Ce n'est pas possible. C'est là, au point de vue fantassin, une de ces erreurs qui coûtent cher, et sans jamais avoir de résultats. Comment peut-on espérer obtenir d'une brigade de marche, composée de régiments ou de bataillons venus de partout, sous la conduite d'un chef inconnu d'eux, sans la moindre cohésion, dans un secteur qui ne représente qu'un chaos lunaire et tout à fait nouveau pour eux, avec les marmitages que vous connaissez, ce qu'une division fraîche, bien encadrée, avec toute son artillerie, n'a pu réussir il y a quelques jours ?
- L'honneur militaire exige que l'on fasse quelque chose.
- Oui, mon général, si quelque chose est possible, mais pas si ce quelque chose n'a comme effet que la destruction de nouvelles unités, sans résultat. Le fort me paraît à bout de forces. J'ai vu hier l'aspirant Buffet au moment où il arrivait du fort, et je sais par lui que la situation dans le fort semble assez trouble. Je connais Raynal, il est énergique, il fera tout ce qu'il pourra, et vraiment qui oserait dire que l'honneur n'est pas satisfait ?
Le général se tut ; et le silence dure jusqu'à R.
A R. une vingtaine de généraux attendaient.
Ce fut une stupeur quand le général Nivelle eût exposé son projet, qui était bien le sien, bien qu'il eût semblé vouloir en donner la paternité à son chef d'état-major.
Le général N… protesta hautement. Le général de M… ancien commandant d'une Armée, qui avait accepté ensuite le commandement d'un Corps d'Armée venu du Midi, exposa au général Nivelle, que bien entendu, l'ordre serait exécuté s'il était donné, mais qu'il estimait ce projet voué d'avance à l'insuccès, que vraiment une formation de marche, aussi hétérogène que celle que l'on pourrait former dans un secteur où n'existaient plus de réserves, n'avait pas la moindre chance de réussite, que les pertes seraient élevées et qu'on pouvait se demander si la reconquête du fort valait un tel sacrifice.
Le général Nivelle maintint son point du vue, et demanda à chacun des chefs présents de mettre à sa disposition ses unités disponibles. Il fut convenu enfin que le général Savy, désigné pour prendre le commandement de la brigade de marche, aurait sous ses ordres le régiment colonial du Maroc et un régiment mixte venu d'une autre division. Les troupes étaient en 2e ligne et devaient entrer en 1er ligne dans la nuit suivante (du 6 au 7). On les ferait redescendre, transporter par camions, et elles monteraient (dans la nuit du 7 au 8) dans le secteur de Souville-Tavannes pour attaquer le 8 au matin soit 2 jours successifs passés en camion et 3 nuits à monter en secteur où à redescendre. C'est ce qu'on appelait des troupes "fraîches".
Le général Nivelle me dit : "Maintenant que tout est d'accord, écrivez l'ordre, je signerai votre original."
Je m'inclinais et fit l'ordre que le général signa aussitôt et qui fut remis immédiatement au général commandant le groupement.
Le général de M…, qui m'avait eu comme élève à l'Ecole de guerre, se rapprocha de moi et me dit : "Mon pauvre P…, quel métier on vous fait faire ! Mais vous ne pouviez pas ne pas obéir. "
Si j'ai relaté ces faits, c'est que pour moi ils sont infiniment précieux pour déceler le caractère d'un homme. Le général Nivelle, venu de l'Afrique, n'était en rien préparé au rôle qu'il eut à jouer. Très brillant soldat, celui de Quennevières, il ignorait tout de la conduite des Armées. L'immense confiance en soi, l'entêtement orgueilleux, le goût de la flatterie, une vanité enfantine qui se gonflait du moindre éloge, venant de n'importe qui, tout cela s'est développé, amplifié à Souilly dans d'immenses proportions et appelait une catastrophe.
On comprend mieux les événements d'avril 1917 (remplacement de Nivelle par Pétain) à la lumière de petits incidents comme celui que je viens de raconter. "

 

7 juin - Capitulation du fort de Vaux (rive droite)
A 3 h du matin, le commandant Raynal décide d'envoyer un émissaire pour parlementer avec l'ennemi, le sous-lieutenant Farges, de la 6e compagnie du 142e R.I. Mais comment approcher de l'ennemi sans être accueilli à coup de fusils ou de grenades ?

Témoignage du commandant P… : " De quelle façon le fort de Vaux a capitulé : Dans la nuit du 6 au 7 juin, le sous-lieutenant Fargues de la 6e compagnie du 142e R.I., a fait effort pour parlementer avec l'ennemi vers la casemate sud-ouest de l'ouvrage. Le jour arrive sans aucune réponse et pourtant les Allemands veillent de toutes parts. Vers 6 heures du matin, l'adjudant Benazet obtient une réponse au barrage qui ferme le coffre double. Immédiatement, le lieutenant allemand Muller-Verner est introduit à l'intérieur auprès du commandant Raynal (commandant en chef du fort). Toutes les conditions étant acceptées et signées, il faut évacuer la place.
Les hommes déposent les armes, bien des larmes coulent, pas un mot, un silence de mort plane sur ce morceau de France.

L'ennemi présente les armes et puis, bien lentement, les héros du fort de Vaux descendent vers l'exil.
Les Allemands entraient au milieu d'un grand silence, écrit le caporal-brancardier Edmond Patry : on entendait le bruit de leurs bottes, ils montaient l'escalier de pierre à la file indienne, l'officier en tête, coiffé d'une casquette, suivi des téléphonistes, pionniers, tous s'éclairant de leurs lampes électriques.
Les Français étaient rangés de chaque côté de l'allée centrale du fort ; les Allemands passaient au milieu et les saluaient. Ils appartenaient au 39e régiment d'infanterie prussien.
L'évacuation se fit par la brèche nord-ouest. Au pied des pentes du fort de Vaux, la plaine marécageuse et les trous d'obus contenaient de l'eau. Tous se jetèrent sur cette eau pourtant pleine de vase…

Le commandant Raynal fut conduit au Kronprinz (le prince héritier allemand), puis emmené à Mayence.

Récit du commandant RAYNAL : "Le Kronprinz est debout, il m'accueille avec une courtoisie très franche. Il n'est pas laid ; ce n'est pas le singe qu'on fait de lui les crayons qui l'ont caricaturé ; c'est un cavalier mince et souple, élégant et non sans grâce, qui n'a rien de la raideur boche.
Le Kronprinz parle, il s'exprime avec facilité, dans un français assez pur.
Il reconnaît et vante comme il sied la ténacité de nos hommes, leur admirable vaillance. "Admirable" : il répète plusieurs fois ce mot. Le Kronprinz me remet la copie du message par lequel notre général en chef envoyait ses félicitations au fort de Vaux.
Maintenant l'héritier du kaiser arrive au geste noble :
- Désireux d'honorer votre vaillance, mon commandant, j'ai fait rechercher votre épée que je me dois de vous rendre ; malheureusement, on n'a pu le retrouver… Et pour cause, suis-je tenté de glisser : je n'ai eu pour toute arme personnelle que ma canne de blessé et mon revolver.
Il poursuit, en me présentant le coupe-choux d'un sapeur du génie :
- Je n'ai pu me procurer que cette arme modeste d'un simple soldat, et je vous prie de l'accepter.
Mon premier mouvement est de me hérisser ; mais le Kronprinz ne se moque pas de moi, c'est très sérieusement qu'il accomplit son geste, et comme l'effet ne lui en échappe pas, il insiste sur l'intention qui donne à ce geste sa véritable portée :
- L'arme est modeste, mais glorieuse, mon commandant, et j'y vois, comme dans l'épée la plus fière, le symbole de la valeur française…
Je ne peux plus refuser :
- Ainsi présenté, j'accepte cette arme et remercie Votre Altesse de l'hommage qu'elle rend à la grandeur de mes humbles camarades.
C'est tout, je salue militairement et m'en vais en emportant mon coupe-choux. Nous n'avons pas fait cent mètres que :
- Herr major, Son Altesse Impérial vous prie de revenir.
Je regagne le quartier général du Kronprinz. Comme je pénètre dans le bureau par une porte, il sort d'une autre pièce et vient à moi, tout épanoui : il tient une épée à deux mains, un sabre-épée d'officier français :
- J'ai trouvé, mon commandant. Je vous prie d'accepter cette arme plus digne de vous, en échange de celle que je vous ai offerte, à défaut d'une autre. "


Commandant Raynal prisonnier

Ce n'est que par le communiqué allemand fait le soir, que la France apprend la chute du fort.
Aussi, le général Nivelle maintient son ordre d'attaque prévu pour le lendemain.

Bilan du siège du fort de Vaux :
Lorsque que l'on étudie de plus près la capitulation du fort de Vaux, dû principalement à la soif et non à la conquête des organes principaux du fort par l'ennemi, on ne peut s'empêcher de penser qu'elle aurait été l'issue si au 1er juin, les citernes avaient été pleines et la défense du fort correctement menée.
En effet, durant les mois précédents, rien n'avait été fait pour redonner au fort sa puissance de feu, et l'on mourrait de soif déjà bien avant le mois de juin.
Le lieutenant Borgoltz, qui avait fait une reconnaissance au fort le 6 mars, avait relevé de nombreuses malveillances qu'il avait remontées à sa hiérarchie. Cependant, aucune mesure n'a été prise.
Voici les grandes lignes du compte rendu établi par le lieurenant Borgoltz : " … nous gagnons la tourelle qui est désarmée de ses pièces de 75… Telle qu'elle est, on pourrait y mettre des mitrailleuses en batterie destinées à balayer les glacis en cas d'attaque. "

" … les deux casernes de Bourges et les coffres flanquants, sont intacts. Nous sommes très surpris de trouver ces organes sans défenseurs, les casemates de Bourges étant d'ailleurs désarmées de leur 75 et remplie d'explosifs. Etrange conception de l'utilisation d'un ouvrage fortifié qui consiste à préparer tout pour le détruire et rien pour le défendre. Quelle lourde responsabilité pour le chef qui a donné l'ordre de prendre de pareilles mesures ! "


" … Par les embrasures des coffres de flanquement, nous voyons des partions entières de contrescarpe renversées dans les fossés. Le flanquement par les coffres est rendu plus difficile en raison de ces éboulements. Il faudrait une section du génie pour diriger et faire exécuter les travaux de déblaiement ainsi que pour mettre en place des réseaux Brun barbelés afin de rétablir l'obstacle et obstruer les brèches. "


" Les communications à découvert avec le plateau en arrière du fort sont précaires et très périlleuses en raison de l'arrosage constant de tous calibres, entretenu par les Allemands, qui gênent les ravitaillements. Pourquoi, depuis que l'on est fixé sur cette façon de procéder des Allemands, l'ordre n'a-t-il pas été donné de creuser une galerie suffisamment profonde du 350 à 400 mètres de longueur, pourvue à ses deux extrémités de deux ou trois sorties, vers la lisière nord des bois de la Vaux-Régnier. Ainsi seraient assurés, en tout temps, en toute sécurité, malgré le bombardement, la relève du personnel ainsi que le ravitaillement en vivres, eau, matériel et munitions de la garnison de défense. D'où possibilité de prolonger la résistance en limitant les fatigues et réduisant les pertes. "


" Les chambrées étaient bondées, les couloirs, les escaliers, les latrines, tout était encombré de soldats qui dormaient, somnolaient, causaient, fumaient, en attendant leur tour d'aller risquer leur vie au parapet. " " Les citernes baissaient rapidement, car les tuyaux qui leur amenaient l'eau des sources de Tavannes avaient été crevés par les gros obus. A partir du 11, la ration fut fixée à un quart par homme et par jour. Le 13, déjà, les citernes étaient presque vides ; ce jour-là, pour puiser et distribuer l'eau, ou plutôt la boue, un soldat descendait dans la citerne, grattait le fond avec son quart et versait ce qu'il pouvait recueillir dans le bidon qu'on lui tendait. Dés lors, il fallut que les hommes de corvée allassent, au prix des pires dangers, chercher à Tavannes l'eau indispensable. "

 

8 juin - Tentative de reprise du fort de Vaux (rive droite)
Durant la nuit, le 2e Zouave part pour prendre ses positions de départ. Ne connaissant pas du tout le secteur, il doit être guidé depuis le fort de Tavannes par des hommes du 298e R.I. revenus spécialement du secteur du fort de Vaux. Cependant, aucun de ces hommes ne parvient à traverser le barrage d'artillerie allemand. C'est donc seul et avec du retard, que le 2e Zouave prend la direction du fort.
Quand il arrive sur ses bases de départ sous une pluie battante, il ne reste que très peu de temps avant l'heure H. Les hommes sont trempés et complètement épuisés.
Au moment de l'assaut, les obus de 210 allemands font des ravages dans les rangs qui avancent. Bientôt, tous les officiers les plus gradés sont tués. C'est sur l'ordre d'un sous-lieutenant, que les survivants, à bout de force, retournent vers l'arrière.

De son côté, le R.I.C.M. est arrivé comme prévu sur ses positions de départ. A 4 h, il part à l'assaut et atteint le fossé du fort où il engage une sévère lutte à la grenade. Cependant, les Allemands ont installé de nombreuses mitrailleuses sur la superstructure et leurs tirs causent des ravages dans le groupe français.

Ce n'est que lorsqu'il ne reste plus qu'un officier et 25 hommes par compagnie que le R.I.C.M. cesse sa progression désespérée et se terre sur place.

L'attaque sur laquelle le général Nivelle fondait tous ses espoirs a donc échoué comme toutes les précédentes. Les pertes qu'ont subi le 2e Zouave et le R.I.C.M. ont été cruelles, les Marocains ont perdu 95% de leur effectif.

 

 

 

15 octobre - Préparation de la seconde grande offensive pour reprendre les forts de Douaumont et Vaux
De gros travaux sont entrepris en préparation de la grande offensive prévue fin octobre. Les préparatifs comprennent, la liaison téléphonique avec les 1e lignes par câbles enterrés, l'approfondissement des tranchées et leur transformation en parallèles de départ, la création d'abris et de P.C.
Partout, la pioche s'enfonce dans les cadavres, les travailleurs se mettent des gousses d'ail dans les narines pour échapper à l'odeur épouvantable.
Le 15 octobre, tous les préparatifs sont prêts.

 

21 octobre
La préparation d'artillerie françaises débute. 654 pièces dont 20 de très gros calibres opèrent un barrage roulant qui progresse de 100 m toutes les 4 minutes. Aucun abri, aucune voie de communication, aucune tranchée, aucune batterie ennemie n'est épargné. C'est un déluge de fer et d'acier.
Les plus gros obus sont réservés pour les forts de Douaumont et de Vaux qui sont les 2 points stratégiques à reconquérir.

22 octobre
Une attaque française est simulée par l'allongement subit du tir d'artillerie et par des mouvements dans les tranchées françaises. Cette ruse permet le repérage de nombreuses batteries ennemies nouvellement mises en place.

Toutes les batteries allemandes ainsi repérées sont systématiquement pilonnées. Les tirs sont ajustés avec l'aide de l'aviation française qui domine le ciel de Verdun depuis plusieurs jours.

 

23 octobre
Vers 8 h, la préparation d'artillerie française s'intensifie.

Dans la nuit, les régiments des 38e, 74e et 133e D.I qui attendent depuis une 20e de jours entre Bar-le-Duc et Saint-Dizier, gagnent Verdun et prennent position dans les parallèles de départ.
Face à eux, ils ont 7 divisions allemandes mais très étalées en profondeur. Les 1e lignes ne sont en fait occupées que par 22 bataillons ennemis.

 

24 octobre
Dans la matinée, un certain nombre d'Allemands sortent de leur tranchée et viennent se porter prisonniers dans les lignes françaises. Ils ont face à eux 3 divisions françaises ; la 38e, la 74e et la 133e D.I.

A 11 h 40, par un brouillard assez dense, c'est le déclenchement de l'offensive française. Chaque unité se dirige à la boussole sur un terrain lourd et glissant.

La 74e D.I. (50e et 71e B.C.P., 222e, 229e, 230e, 299e et 333e R.I.) renforcée par le 30e R.I à pour objectifs de s'emparer du Chênois, du bois Fumin, puis du fort de Vaux. Ses positions de départ vont de la Haie-Renard au font de Beaupré.

A 11 h 40, le 230e R.I. s'élance et atteint le bois Fumin où il est pris sous un feu très nourri. Les pertes sont lourdes. Il est bloqué à cet endroit tout le reste de la journée.

A 11 h 40, le 333e R.I. s'élance et s'empare de l'ouvrage des Grandes-Carrières à 12 h 15. Il tente ensuite d'atteindre les Petites-Carrières nord pour contourner le fort de Vaux par l'ouest.
Malgré l'aide du 50e B.C.P., il ne peut exécuter ce mouvement. Les compagnies se fortifient sur place.
S'abat alors sur ses positions un violent bombardement de l'artillerie française qui n'est pas au courant des nouvelles positions de son infanterie. Il est contraint de reculer et de laisser le terrain qu'il vient de conquérir.

A 11 h 40, le 299e R.I. s'élance et tombe aussitôt sur les tranchées Clausewitz et Seydlitz protégées par des barbelés intacts et fortement occupés. Toute la journée, il se bat à la grenade.
De 20 h à minuit, renforcé d'éléments des 50e et 71e B.C.P., il parvient à enfoncer la ligne ennemie.
Les pertes sanglantes qu'il a subies ne lui permettent pas de continuer. Il se fortifie sur place.

A 11 h 40, le 222e R.I. s'élance et s'empare de l'abri dit "du combat". Il poursuit sa marche et parvient ensuite à enlever la batterie de Damloup. Il ne peut progresser plus avant.

En résumé, au soir, la 74e D.I. a mené une lutte acharnée mais n'est pas parvenue à atteindre ses objectifs. A savoir, le plateau et le fort de Vaux.


Les embrasures de la caserne (que l'on distingue sur la photo de gauche)

 

25 octobre
Le général Mangin prévoit de reconquérir le fort de Vaux aujourd'hui même, mais
aucun régiment ne parvient à améliorer ses positions.
Le bombardement allemand a été trop violent dans le secteur de Vaux.

26 au 31 octobre - Nouvelle préparation d'artillerie française sur le fort de Vaux
Le général Nivelle réitère sa volonté pressante de reprendre le fort de Vaux.
Les divisions qui ont attaqué le 24 sont épuisées et sont relevées.
L'artillerie française débute sa nouvelle préparation d'artillerie sur le fort de Vaux et ses alentours.
De son côté, le bombardement allemand est toujours très violent et aucune nouvelle progression française n'est signalée.

1er novembre - L'armée allemande évacue d'elle même le fort de Vaux
Dans la nuit, les Allemands évacuent d'eux mêmes le fort de Vaux, se résignant à leur défaite.

2 novembre
Une conversation allemande par radio est interceptée et apprend aux Français que le fort de Vaux a été évacué dans la nuit.
Une compagnie du 118e R.I. et une autre du 298e R.I. sont chargées d'aller vérifier l'exactitude de l'information. Le 118e abordera le fort par la face nord alors que le 298e approchera par la face sud.
L'opération doit s'exécuter dans la nuit.

3 novembre - Reconquête du fort de Vaux.
A 1 h, les 2 compagnies arrivent dans le fossé du fort, escalade la superstructure et se retrouvent sur le toit. Elles pénètrent ensemble dans le fort par un trou d'obus bouché de sac de terre que les hommes défoncent à coups de pioche.
Dans l'enceinte, elles ne trouvent que les traces de la fuite précipitée des Allemands ; armes, munitions, eau minérale ; etc…

A 2 h 30, le fort de Vaux est définitivement libéré.

 

Le fort de nos jours :

L'observatoire avant

 

 

La facade de la caserne

 


La casamate sud-ouest

 


Une chambre

 


La tourelle des 2 canons de 75 mm

 


La tourelle de 75 mm et l'observatoire centrale

 


La casemate de Bourges sud-ouest

 


Les latrines

 


Les couloirs du fort

 


Un canon de 75 situé dans la casemate de
Bourges sud-ouest (non présent en 1916)