Rive droite
:
1er
septembre
En ce début du mois de septembre, 3 D.I françaises sont
en ligne sur le front de Verdun :
- la 33e D.I. (59e, 83e, 88e et 209e R.I.) tient le secteur de la côte
du Poivre
- plus à l'est, la 73e D.I. (346e, 356e, 367e et 369e R.I.) tient
les positions du Retegnebois, du Chênois et de la Laufée
- dans sa continuité, la 28e D.I. (22e, 30e, 99e et 416e R.I.)
occupe le font de Discourt et les pieds des côtes de Meuse et de
la Laufée.
R.A.S durant la journée.
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- milieu - bas
2 septembre
Bien que le Kronprinz n'envigeable plus d'offensive sur Verdun, une
attaque est tout de même tentée en direction du fort de Souville.
Dès 5 h, violent bombardement allemand sur de nombreux secteurs.
Les plus éprouvés sont le plateau de Souville, la station
de Fleury et le ravin des Fontaines qui est tenu par le 212e R.I.
Cet intense pilonnage des lignes françaises
se prolonge toute la journée. Un grand nombre d'hommes sont commotionnés,
ils sont sourds, hébétés, suffoqués. Leur
visage et leur main ruissellent de sang qui coule par 1000 blessures (projection
de terre, de pierre et de sable) qui se mêle à la poussière
et forme des caillots affreux.
Témoignage de Ed. BOUGARD : "
Nous attendons la mort qui plane au-dessus de nos têtes ; il est
huit heures du soir ; une marmite tombe en plein dans la tranchée
; je roule par terre ; je n'ai rien. Par contre, une cervelle est sur
ma capote ; je suis plein de sang des copains. Mon ami Béthouart
a la bouche fendue jusqu'aux oreilles et mon pauvre camarade Jules Fontain,
qui ne m'avait pas quitté depuis le début de la campagne,
a les deux jambes coupées. Les blessés pouvant marcher se
sauvent au poste de secours ; les mourants agonisent dans la tranchée.
Quand ils sont morts, on les place au-dessus du parapet. "
haut
- milieu - bas
3 septembre - Attaque
allemande sur les pentes de Vaux-Chapitres, Thiaumont
A 6 h 30, les Allemands lancent une attaque sur les tranchées des
pentes de Vaux-Chapitres.
Le 6e bataillon du 212e R.I. résiste
farouchement, officiers et hommes faisant ensemble le coup de feu. Néanmoins,
les pertes sont très lourdes et en 1 h, le bataillon est pratiquement
décimé. Les rares survivants se replient dans le ravin des
Fontaines. L'ennemi s'empare de la tranchée de Montbrison et du
Zouave Penit.
A 8 h, l'ennemi progresse par le ravin
des Fontaines et s'approche du P.C. du 212e R.I. dans la Carrière.
Aussitôt, le chef de bataillon, les officiers de l'état major
et l'ordonnance prennent grenades, mitrailleuses et fusils. Cependant,
ils ne peuvent tenir et sont submergées. Leur P.C. est perdu.
Aussitôt, le 4e bataillon part à la contre-attaque. Avec
un magnifique courage, les hommes s'avancent et reprennent les positions
qu'occupait initialement le 6e bataillon. Ils parviennent ensuite à
progresser à 100 m au-delà. Ces nouvelles positions sont
aussitôt organisées sous un bombardement d'une violence inouïe.
A la Haie-Renard, plus à droite,
le 344e R.I. est également soumis à une violente attaque.
Pratiquement tous les officiers sont tués et l'état major
est fait prisonnier.
Le 6e bataillon du 206e R.I. qui est en renfort apporte son aide mais
ne parvient pas à retourner la situation.
Entre 12 h et 17 h, le 234e R.I. lance
une attaque en avant de la Chapelle Sainte-Fine. Par cette manuvre,
il réussit à s'emparer de l'ouvrage de Munich et de la tranchée
de Bavière. 400 ennemis sont fait prisonniers avec 4 mitrailleuses.
A 14 h, dans le secteur de Thiaumont, le
102e R.I. lance une attaque et prend un post avancé en faisant
53 prisonniers dont un officier. Cependant, il ne peut poursuivre plus
avant, bloqué par le tir ennemi. Par vengeance, un furieux bombardement
allemand s'abat plus tard sur cette nouvelle position.
A la nuit, dans le secteur de Retegnebois,
le 214e R.I. repousse une attaque à la grenade.
Le 36e bataillon de tirailleurs Sénégalais quitte les arrières
du fort de Souville et se dirige vers la Carrière.
haut
- milieu - bas
4 septembre - Attaque
allemande sur les pentes de Vaux-Chapitres, Thiaumont. Embrasement
du Tunnel de Tavannes
A 5 h 30, le 356e R.I. qui est en ligne dans le secteur de la Laufée
et de la tranchée du Chênois-La Montagne, subit une 1ère
attaque qu'il parvient à repousser. Notamment par les grenadiers
de la compagnie Rueff.
A 6 h 35, les Allemands lancent une seconde
attaque est arrivent à s'introduire dans les lignes françaises
à l'endroit défendu par le bataillon Vesque. Aussitôt,
des contre-attaques sont improvisées et le terrain est repris.
Dans cette affaire, on dénombre 180 morts ou blessés dans
le bataillon Vesque, dont 5 officiers.
A 7 h, une contre-attaque française
doit avoir lieu devant le front de la 136e brigade (212e et 344e R.I.).
Cependant, peut avant l'heure H, un ordre arrive par coureur, ordonnant
le retardement de l'assaut. Les hommes qui étaient prêt à
s'élancer se relâchent.
Cependant, 2 compagnies Sénégalaises
n'ont pas pu être prévenues à temps, et à l'heure
prescrite, elles s'élancent seules face aux tranchées adverses.
Leurs progression est dynamique et rapide, un grand nombre d'Allemands
quittent leur position et s'enfuient, les poches de résistances
sont maîtrisées les unes après les autres.
Néanmoins, 2 nids de mitrailleuses bien positionnées restent
en actions. Leurs tirent bien cadrés causent bientôt des
ravages dans la ligne française.
Les soldats Sénégalais ne réalisent pas le danger
; au lieu de s'abriter en se couchant dans les trous d'obus, ils se dressent;
au lieu de se disperser, ils se regroupent. Tous les officiers qui s'exposent
pour tenter de faire réagir leurs hommes sont tués.
Finalement, alors que pratiquement tous les adversaires avaient fuit,
seul quelques mitrailleuses ont mis en pièce les 2 compagnies.
Dans le plus grand désordre, les survivants, dont un grand nombre
est gravement blessé, regagnent le poste de la Carrière.
Blessés Sénégalais
à un poste de secours
L'anéantissement des 2 compagnies
Sénégalaises laisse un grand espace inoccupé de plus
de 600 m dans la ligne de front française. Ce vide est comblé
dans l'urgence par l'étalement des unités adjacentes.
A 8 h, dans le secteur de Retegnebois,
le 214e R.I. qui est soumis à un violent bombardement depuis 5
h du matin, voit les Allemands sortir des tranchées face à
lui. Rapidement, la 18e compagnie est submergée et doit reculer.
Cependant, les positions ne sont pas dépassées grâce
à quelques mitrailleuses restées en place et toujours servies.
Une contre-attaque est ensuite menée avec le renfort du 1er bataillon
du 346e R.I. Elle permet de reprendre les anciennes positions qu'occupaient
la 18e compagnie et à faire environ 200 prisonniers, de très
jeunes soldats.
Témoignage de X
: "
Deux Allemands soutiennent un camarade qui agonise. Une grande amitié
devait unir ces trois hommes. Les deux qui sont valides ont les yeux plein
de larmes et comme le blessé agonise, l'un d'eux se penche vers
lui et l'embrasse longuement.
Impressionnés par tant de malheur et en dépit de l'exaspération
quelques soldats français s'arrêtent, émus. "
Jeune soldat allemand qui agonise
dans une tranchée
A 13 h 20, la 13e compagnie du 4e bataillon
du 346e R.I. attaque en direction de l'ouvrage Rond. 3 lignes de tranchées
sont reprises à l'ennemi. En arrière, la 14e compagnie consolide
la progression.
Toute l'après-midi et jusqu'à
19 h, les Allemands tentent de reprendre le terrain perdu la veille dans
le secteur de Thiaumont, tenu par le 102e R.I. Ils sont à chaque
fois repoussés et laissent de nombreux morts devant les lignes
françaises.
Dans la nuit, la 67e D.I. (214e, 220e,
221e et 259e R.I.) relève la 68e (206e, 212e, 234e et 344e R.I.)
Le tunnel de Tavannes et la tragédie
du 4 septembre :
Le tunnel de Tavannes est
un tunnel ferroviaire d'une seule voie où passe le chemin de fer
allant de Verdun à Metz. Situé au nord ouest du fort de
Tavannes, il est long de 1400 m et large de 5.
Entrée ouest en été
1916
Dès le début
de la bataille de Verdun, le train ne circule plus. Des troupes françaises
viennent tout naturellement s'y abritent pour se protéger du furieux
bombardement allemand.
Petit à petit, les combats se poursuivant dans le secteur, un état-major
de brigade, des services de secours, brancardiers, téléphonistes,
artificiers, génie, un bataillon de réserve, etc
finissent
par s'installer durablement aux extrémités du tunnel. Cet
abri enterré constitue un lieu sûr et permet d'intervenir
rapidement sur la zone des combats.
Plus tard, la totalité
du tunnel est aménagée : un dépôt de munition
est constitué, des cabanes en tôle et en bois sont construites;
des couchettes ainsi que des latrines sont mises en place.
Témoignage du soldat Louis
HOURTICQ : "
C'est une étrange chose que ce tunnel qui passe sous les lignes
jusqu'en plein champ de bataille. Entre deux paquets de fer et de feu,
des formes bondissent dans le tunnel, surgies de l'éruption, pauvres
êtres hagards, haletants, titubants, qu'il faut recueillir et conduire,
dans cette nuit subite.
Tout le jour, toute la nuit surtout, c'est une circulation intense : des
corvées d'eau, de munitions, de vivres ; des troupes qui montent,
d'autres qui descendent, des brancards de blessés qui reviennent
de la bataille, puis sont évacués.
Cette existence souterraine supprime toute distinction entre le
jour et la nuit, ce jeu alterné du sommeil et de la veille qui
rythme notre vie. L'activité, le mouvement, le bruit sont les mêmes,
continus, sans arrêt, sans pause, de midi à minuit, de minuit
à midi.
Sous cette voûte indestructible, trop d'hommes et trop de choses
sont venus chercher un abri : dépôts d'eau, de grenades,
de fusées, de cartouches, d'explosifs ; sous les lampes noires
de mouches, des chirurgiens recousent de la chair déchirée.
Tous les bruits sont dominés par le halètement rapide du
moteur de la machine électrique. Il est comme le battement de fièvre
de cette artère surchauffée. "
Entrée est le 27 février
1916
Très rapidement, la surpopulation,
l'exigüité et l'insalubrité du lieu rendent la vie
très difficile dans le tunnel.
Témoignage du général ROUQUEROL du 16e D.I. : "
... L'éclairage électrique avait été organisé
avec un moteur à essence. Toutefois, on avait eu tort, dans ce
travail hâtif, d 'établir des câbles à haute
tension nus à proximité immédiate des installations
pour les hommes. Plusieurs cas mortels d'électrocution firent apporter
les modifications nécessaires à la distribution du courant.
L'éclairage n'existait d'ailleurs que sur la partie du tunnel utilisée
comme logements ou dépôts ; le reste était obscur.
Un puits d'aérage avait été fermé par des
toiles pour parer à la pénétration éventuelle
des gaz de combat.
L'organisation du tunnel comportait des rigoles d'écoulement pour
les eaux de condensation et d'infiltration qui n'étaient pas négligeables
; mais, sans souci de la nécessité de prévoir l'assèchement
du tunnel, le personnel chargé de cette organisation avait comblé
toutes les rigoles. Le résultat ne s'était pas fait attendre
et de longues portions du tunnel étaient bientôt transformées
en un marécage d'une boue fétide. La plupart des immondices
des occupants y étaient jetées. On y aurait trouvé
même des cadavres.
Tant de causes d'infection, jointes à la suppression de l'aérage
par le puits construit à cet effet, ne pouvaient manquer d'entretenir
dans le tunnel des émanations malsaines qui ont donné lieu
à plusieurs cas d'une jaunisse spéciale au nom suggestif
de jaunisse des vidangeurs.
Le commandant d'une division occupant le secteur de Tavannes au mois de
juillet voulut faire nettoyer ces écuries d'Augias. Il dut y renoncer
sur l'observation du service de santé d'après laquelle l'agitation
de la boue et des eaux polluées causait immanquablement de nombreuses
maladies. Il fallut se contenter de répandre dans les endroits
les plus malpropres de la chaux vive. "
Entrée ouest en été
1916
Témoignage de René le GENTIL
: "
... La dynamo qu'on avait installée était trop faible et
ne pouvait fournir qu'un pauvre éclairage, si bien qu'on y voyait
à peine et qu'on manquait à chaque pas de glisser sur le
bout des traverses de la voie ; mais chose pire, l'eau manquait absolument,
car un seul robinet existait au milieu du tunnel ; et ceux qui venaient
la étaient condamnés à rester des 10, voire 12 et
15 jours sans se nettoyer, malgré les pires besognes à accomplir.
C'est ainsi que j'ai vu de nos hommes, qui venaient de s'infecter les
mains en transportant des cadavres délabrés, être
obligés de manger sans pouvoir se laver. Et quand je demandai pour
eux un désinfectant quelconque, l'aimable pharmacien, charger de
ce service, me fit des reproches amers. je compliquais les choses en réclamant
ainsi ! ...
...
Après les différents services, les hommes s'installaient
comme ils pouvaient sur la voie du chemin de fer, dans le noir complet,
la vermine et la saleté. Il y avait bien eu un timide essai de
cadres treillagés qui avaient servi de couchettes, mais ils étaient
défoncés, abîmés, et les divisions se succédant
rapidement, hélas ! nul ne s'inquiétait de les remplacer
; toutefois, voulant dégager le bas, le génie du secteur
avait commencé l'installation, à mi-hauteur du tunnel, d'un
premier étage en plancher, là gîtaient les territoriaux
; mais comme il n'y avait pas de place pour tout le monde, cela ne faisait
qu'augmenter encore, pour ceux qui étaient dessous, le grabuge
infernal et la saleté qu'on n'avait plus seulement aux pieds, mais
encore sur le tête; car, par les planches mal jointes, la terre
tombait sur ceux qui se trouvaient là."
Témoignage du docteur
Léon BAROS, aide-major au 217e R.I. : "
Nous arrivons à l'issue est du tunnel de Tavannes.
La boue s'étale gluante, des milliards de mouches volent en tous
sens et tapissent les parois du tunnel ; dans tous les coins et sur les
multitudes d'immondices, accumulées partout, grouillent les asticots
et les contorsions de leurs petits corps blancs amènent des nausées
de dégoût ; l'air, chargé de chaleur humide et imprégnée
d'odeur de cadavres, de putréfaction, de sécrétions
acides, de corps en sueur et de fientes humaines, est irrespirable ; les
gorges se contractent en un réflexe nauséeux.
C'est par cette issue est que le tunnel communique avec le champ de bataille,
sous les avalanches nombreuses et imprévues, continues ou espacées,
des tonnes de fer et de feu qui se déversent dans un endroit repéré
exactement, où les projectiles de tous calibres prenant en enfilade
la tranchée du chemin de fer qui précède le tunnel,
sont posés presque comme avec la main, tellement le tir est précis
et le lieu exactement repéré.
Et c'est un lieu de passage qu'on ne peut éviter, où défilent
ravitaillent, réserves, agent de liaison, relèves, blessés.
Les Boches le savent bien. Les obus, petits, moyens et gros, éclatent
sans interruption, sur un parcours de 12 à 15 mètres, devant
l'entrée du tunnel, soit à la cadence d'un tir de mitrailleuses
lorsqu'il y a barrage, soit à l'intervalle d'une minute ou d'une
demi-minute ; c'est infernal ! Que de malheureux ont été
anéantis à cet endroit ! "
Entrée est en été
1916
Témoignage du lieutenant BENECH
du 321e R.I. : "
Nous arrivons au tunnel. Serons-nous donc condamnés à vivre
là ? Je préfère la lutte à l'air libre, l'étreinte
de la mort en terrain découvert. Dehors, on risque une balle ;
ici, on risque la folie.
Une pile de sacs à terre monte jusqu'à la voûte et
ferme notre refuge. Dehors, c'est l'orage dans la nuit et le martèlement
continu d'obus de tous calibres. Au-dessus de nous, sous la voûte
qui sonne, quelques lampes électriques sales, jettent une clarté
douteuse, et des essaims de mouches dansent une sarabande tout autour.
Engourdies et irritantes, elles assaillent notre épiderme et ne
partent même pas sous la menace d'un revers de main. Les visages
sont moites, l'air tiède est écurant.
Couchés sur le sable boueux, sur le rail, les yeux à la
voûte ou face contre terre, roulés en boule, des hommes hébétés
qui attendent, qui dorment, qui ronflent, qui rêvent, qui ne bougent
même pas lorsqu'un camarade leur écrase un pied.
Par place, un ruissellement s'étend ! de l'eau ou de l'urine ?
Une odeur forte, animale, où percent des relents de salpêtre
et d'éther, de soufre et de chlore, une odeur de déjections
et de cadavres, de sueur et d'humanité sale, prend à la
gorge et soulève le cur. Tout aliment devient impossible
; seule l'eau de café du bidon, tiède, mousseuse, calme
un peu la fièvre qui nous anime. "
Ainsi, durant toute la bataille de Verdun,
des milliers d'homme vont faire une halte plus ou moins longue dans le
tunnel de Tavannes. Chaque jour 1500 à 2000 hommes s'y entasseront.
Le 4 septembre, vers 21 h , le dépôt
de grenades placé à l'entrée ouest du tunnel de Tavannes
prend feu.
A 21 h 15, une formidable explosion se
produit, comprimant en une instant les poitrines de tous les êtres
vivants présents dans le tunnel. Les flammes qui se propagent rapidement
atteignent le stock de bidons d'essence qui sert à alimenter le
groupe électrogène.
En quelques minutes, les baraquements en bois où sont entassé
de nombreux soldats s'embrasent. Une fumée très dense avance
dans le tunnel semant la panique et la mort. Les hommes qui ne sont pas
asphyxiés instantanément, s'enfuient en désordre
en se marchant les un sur les autres, vers la sortie opposée. Cependant
la nappe de fumée les gagne de vitesse et des 100e d'hommes tombent
avant d'arriver à l'air libre. Même équipé
de masque à gaz, la densité de la fumée est telle
qu'aucun sauveteur ne parvient à pénétrer à
l'intérieur du tunnel.
Les hommes qui sont parvenus à atteindre
la sortie est se trouvent face au bombardement allemand et ne peuvent
s'échapper. Cependant, il y a urgence à évacuer cet
endroit irrespirable. Un colonel, révolver au poing, menace de
tirer sur les malheureux. Dans l'affolement le plus complet, les premiers
étant poussés par ceux qui arrivent derrière eux,
s'enfuit en tentant de trouver refuge dans les trous environnants.
De plus, les Allemands qui ont aperçu
la nappe de fumée qui est montée très haut dans le
ciel, redoublent leur pilonnage sur les entrées du tunnel.
Jusqu'à 21 h 45, des groupes d'hommes,
noirs, à demi asphyxiés, sentant la chair grillée,
surgissent par la sortie est et s'enfuient sous les obus.
Durant toute la nuit, aucune manuvre de secours ne peut être
entreprise.
Le brasier continue à brûler
durant 2 jours, carbonisant les 100e de cadavres jonchant le sol. Lorsque
plus tard, on pénètre dans le tunnel, on ne retrouve rien
que des cadavres qui partent en cendre dès qu'on les touche. Seulement
30% en moyenne peuvent être identifiés.
500 à 600 homme ont péri
dans cette catastrophe : officiers et soldats du 1er et du 8e génie,
des 22e, 24e et 98e régiments territoriaux ; des médecins
majors et des infirmiers régimentaires des 346e, 367e, 368e et
369e R.I. ; des blessés qui, couchés sur des brancards et
se sentant en sécurité, attendaient leur évacuation.
Aucun journal ne parla de cette tragédie
Quelques victimes de la catastrophe
du 4 septembre
étendues dans un fossé
à l'entrée du tunnel
en attendant l'inhumation
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5 septembre
- Préparation d'artillerie en vue d'une contre-attaque française
sur la Carrière
Toute la journée et la nuit, il pleut.
Du côté français, on s'affaire aux préparatifs
de la contre-attaque de la Carrière. Elle est prévue pour
le lendemain et exécutée par 2 bataillons du 288e, le 367e
et le 346e R.I.
Du côté allemand, pas de mouvement important à signaler,
les hommes survivent dans les tranchées pleines de boue.
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6 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Au matin, le 288e R.I. s'élance à l'assaut de la tranchée
Montbrison. La bataille est très violente et tumultueuse. Les 4e
et 5e bataillons parviennent à atteindre leurs objectifs et à
les dépasser.
De son côté, le 6e bataillon trouve face à lui des
éléments qui n'ont pas été détruit
par la préparation d'artillerie. Ne pouvant pratiquement pas progresser,
les hommes tombes les uns après les autres. Il ne reste plus qu'un
seul officier vivant lorsque les renforts arrivent enfin. Ce sont 3 compagnies
du 6e bataillon du 220e R.I. ainsi qu'une compagnie de mitrailleuses qui
sont arrivées. Cette nouvelle formation parvient cette fois ci
à avancer à atteindre les abords de la tranchée de
Montbrison.
Le 6e bataillon du 367e parvient à
progresser de 1500 m et à reprendre dans sa course, les tranchées
Hohenlohe et Blücher, à gauche de Retegnebois. 200 ennemis
sont capturés avec 8 mitrailleuses. Les hommes du 367e R.I. repoussent
ensuite plusieurs contre-attaques.
A droite de Retegnebois, le 346e part à
l'attaque à 17 h 40 et parvient à atteindre sans grande
difficulté tous ses objectifs. Le 5e bataillon les dépasse
même et vient renforcer la tranchée Hohenlohe que vient de
conquérir le 367e R.I., au nord de l'ouvrage Rond.
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- milieu - bas
7 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
En avant des tranchées " le Triangle ", le 6e bataillon
du 220e repousse plusieurs contre-attaques. Il progresse ensuite d'une
100e de mètres. Durant cette attaque, il est signalé que
de nombreux soldats allemands se rendent à l'approche des Français.
Témoignage
du soldat LECLAIRE : "
Les prisonniers nous disent : "Nous ne serons pas vainqueurs, mais
vous ne le serez pas non plus""
Colonne de prisonniers allemands
Le 6e bataillon du 367e repousse lui aussi
plusieurs contre-attaques sur les positions qu'il a conquit la veille.
Le 228e R.I. se bat à la grenade
toute la journée et toute la nuit.
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- milieu - bas
8 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Dés le levé du jour, l'ennemi lance une attaque en avant
de l'ouvrage Rond. Le 346e qui tient la tranchée Hohenlohe depuis
le 6 et contraint de reculer sur ses anciennes positions. Une fois les
hommes ressaisis et les munitions rassemblées, ils partent à
la contre-attaque et reprennent la tranchée. Plus tard dans la
journée, la même scène se reproduit, le 346e évacue
sa ligne et la reprend peu de temps après sans attendre l'arrivé
des renforts qu'on lui a annoncé.
L'ennemi se rend toujours en grand nombre
aux éléments du 220e qui se trouvent en avant des tranchées
" le Triangle ". Ces mêmes éléments sont
soumis à un violent bombardement durant toute la journée.
Les morts sont très nombreux.
En avant de Fleury, le 214e R.I. repousse
une attaque. Le régiment qui se trouvait à côté
de lui a du reculer, de leur propre initiative, les hommes du 214e s'élancent
sur les positions que tenait ce régiment et les reprend à
l'ennemi.
Durant la nuit, la 74e D.I. ( 50e et 71e
B.C.P., 222e, 229e, 230e et 333e R.I.) monte en première ligne
du " nez de Souville " ou bois de la Laufée.
Colonne de soldats qui se dirigent
vers le front
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- milieu - bas
9 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Le 5e bataillon du 220e R.I., qui est en ligne à gauche de Vaux-Chapitre,
reçoit l'ordre d'attaquer à 16 h les tranchées Montbrison
et Lecourt.
Toute la journée, l'artillerie française bombarde ces positions
avec ténacité.
Quelques minutes avant l'assaut, une 30e
d'Allemands et un officier viennent se rendrent aux Français.
Le bombardement préparatoire semble
avoir été efficace car de nombreuses défenses ennemies
sont détruites, à l'exception d'une mitrailleuse qui cause
des pertes sensibles. Elle fini néanmoins par être maîtrisée
et la progression peu se poursuivre.
Sur la droite du dispositif, l'ennemi offre cependant plus de résistance
et c'est avec l'aide du 283e R.I. progressant à la lisière
ouest du bois de Vaux-Chapitre que ce secteur fini tout de même
par se rendre.
A la nuit, après plusieurs heures
de combat, la progression a été sensible. Cependant, l'objectif
final, à savoir les 2 tranchées Montbrison et Lecourt, n'ont
pas été atteinte et restent aux mains de l'ennemi.
Les brancardiers, à la faveur de
l'obscurité, commencent leur longue nuit à la recherche
des blessés.
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10 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
La lutte continue dans les secteurs de la Carrière, de la Haie-Renard
et du Chênois. L'artillerie allemande pilonne sans interruption
les lignes françaises.
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11 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Une forte attaque allemande est repoussée par la 19e compagnie
du 5e bataillon du 220e R.I.
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12 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Dans le secteur de Thiaumont-Ravin des Vignes, le 315e R.I. lance une
attaque. Toute la journée, il progresse lentement en faisant reculer
l'ennemi à la grenade. Ce n'est que vers 19 h 45 que les Allemands
se replient en cessant le combat.
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13 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Dès 5 h du matin, le 5e bataillon du 220e R.I. toujours aidé
par quelques éléments du 283e, reçoit l'ordre d'attaquer
les tranchées de Montbrison et Lecourt, tant disputées ses
derniers jours. Sans préparation d'artillerie, profitant ainsi
de l'effet de surprise, les hommes du 220e s'élancent et parviennent
à s'emparer de la tranchée Montbrison et à poursuivre
vers la tranchée Lecourt.
Cette dernière position n'est cependant
pas atteinte, mais un groupe de grenadier composé de 6 hommes parvient
à s'établir dans le boyau qui relit les 2 tranchées
entre elles.
Vers 18 h, une première contre-attaque allemande est repoussée
puis une seconde à 22 h 30 sur la tranchée Montbrison.
La progression du 315e commencé
la veille reprend par petits groupes. Une 20e de mètres sont conquis.
Durant cette journée,
la ville de Verdun a reçu la croix de la Légion d'honneur
et diverses décorations décernées par les pays alliés.
La cérémonie s'est déroulée dans la citadelle
en présence du président de la République, M. Poincaré,
du ministre de la guerre, de plusieurs représentants des nations
alliées : Grande-Bretagne, Russie, Italie, Serbie, et des grands
généraux français : Pétain, Joffre, Nivelle
et Mangin.
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14 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
Les éléments du 220e et du 283e, entre la tranchée
Montbrison et Lecourt ne faiblissent pas et tiennent bon devant plusieurs
contre-attaques allemandes.
De son côté, le 315e R.I.
progresse à nouveau de 40 m toujours en forçant la passage
à la grenade.
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15 septembre
- Contre-attaque française sur la Carrière,
la Haie-Renard et le Chênois
La lutte du 220e et du 315e se poursuit.
Durant toute la journée, la caserne
Marceau est soumise à un tir de très gros calibres.
Durant la nuit, la 133e D.I. (32e, 102e,
107e et 116e B.C.P., 321e R.I. et 401e R.T.) vient renforcer la 67e dans
le secteur de Souville.
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16 septembre
au 15 octobre - Préparatifs de la grande offensive française
rive droite
Les généraux affectés au secteur de Verdun pensent
à présent qu'il est temps de passer à l'offensive.
Cependant, ils n'ont pas oublié les erreurs qu'ils avaient commis
en mai, lors de la tentative de reprise du fort de Douaumont.
Durant cette action, la préparation d'artillerie française
n'avait pas du tout été suffisante, laissant intactes des
organisations ennemies qu'il aurait été indispensable de
détruire ; Au moment de l'attaque, l'artillerie allemande continuait
inexorablement à être 2 fois plus puissante que la notre
; Les effectifs mobilisés pour mener l'attaque étaient trop
insuffisants ; La préparation du terrain, parallèles de
départ, boyaux de communication vers l'arrière, liaisons
téléphoniques... avait été négligés.
Afin de corriger ces erreurs,
le générale Pétain, organisateur incomparable, emploie
toute son énergie pour obtenir des batteries et des munitions.
Il obtient 2 obusiers de 400
mm qu'il compte utiliser, l'un sur le fort de Douaumont, l'autre sur le
fort de Vaux.
Mortier de 400 mm monté
sur rails
Témoignage du général
Pétain : "
A Verdun, notre heure sonnait. Au début d'octobre, nous avions
convenu, le général Nivelle et moi, de procéder à
la reprise des forts, pour rétablir la place dans son intégrité.
Le général Mangin, nommé au commandement des secteurs
de la rive droite, dirigeait l'opération et sous l'impulsion d'un
tel chef, dont la vigueur était proverbiale dans l'armée,
nous escomptions un succès complet.
Le Grand Quartier Général avait envoyé les deux mortiers
de 400 millimètres demandés qui, joints aux quelques pièces
de 370 millimètres que nous possédions déjà,
permettaient d'exécuter sur les ouvrages une puissante action de
démolition
"
Avec le concours du général
Mangin, qui a aménager les gares de Baleycourt et de Landremont
où s'effectue le déchargement des trains, il parvient à
stocker au rythme de 4 à 5 trains par jour, plus de 500 000 tonnes
de matériels et de projectiles aux alentours proches de Verdun.
Il stimule et renforce l'aviation
qui, petit à petit, commence à prendre le dessus sur l'aviation
allemande.
Aidées par plusieurs
unités d'aérostiers, les aviateurs quadrillent méthodiquement,
durant plusieurs semaines, chaque mètre carré du camp allemand,
sur un front de 7 km de large et 3 km de profondeur. Chaque batterie,
abris, tranchée, réseau de fil de fer, nid de mitrailleuses,
point d'observation, voie d'accès, est minutieusement cartographié.
Les informations sont centralisées et étudiées afin
que le jour de l'attaque l'artillerie soit parfaitement réparti
suivant les secteurs et les endroits stratégiques, et que les coordonnées
des objectifs soient parfaitement connues. C'est une entreprise titanesque
menée avec brio, qui démontre pour une fois le savoir faire
français.
Ballon "saucisse" en
cours de repérage
De son côté,
le général Mangin a la mission d'aménager le terrain.
Il fait approfondir les lignes et les fait transformer en parallèles
de départ ; restaurer d'anciens blockhaus et creuser de nouveaux
abris pour les postes de commandement ; établir des liaisons téléphoniques
par câbles enterrés entre ces abris et les premières
lignes.
Afin de faciliter l'acheminement des troupes d'assaut, il fait reconstruire
la piste reliant le ravin du Pied-du-Gravier à la région
de Thiaumont ; fait remettre en état la route du Faubourg Pavé
à la chapelle Sainte-Fine, ainsi que les chemins du fort de Souville
et du bois des Essarts.
Partout, la pioche s'enfonce dans les cadavres,
les travailleurs se mettent des gousses d'ail dans les narines pour échapper
à l'odeur épouvantable. De plus la pluie tombe en permanence,
ce qui rend les travaux très pénibles.
Témoignage
du sous-lieutenant Albert TEXIER : "
Quelquefois, un travailleurs, bouleversé, écoeuré,
se relève à demi ; sa pelle ou sa pioche lui tombre des
mains ; le sol est formé de cadavres.
- Mon lieutenant, on creuse dans la viande !....
- Ne t'occupe pas, creuse ! "
Témoignage de Fernand
DUCON, sergent à la 19/2 compagnie du Génie : "
Les sapeurs du génie peuvent être comptés parmi les
combattants les plus méritants et parmi les plus méconnus.
On a trop tendance à ne voir dans ce corps d'élite, ou que
les spécialistes souvent héroïques de l'effroyable
guerre de mines, ou que les sapeurs plus favorisés de compagnies
de chemin de fer, de télégraphistes ou de pontonniers.
En réalité, les compagnies divisionnaires groupèrent
la majorité des hommes du génie, à la fois sapeurs
et fantassins. Dans les divisions d'attaque notamment, ils vécurent
en contact intime avec leurs camarades de l'infanterie, dirigeant leurs
travaux de préparation, les accompagnant à l'assaut, le
fusil ou le mousqueton à la main, la pioche passée dans
le ceinturon lorsque l'heure H avait sonné, s'efforçant
ensuite d'organiser le mieux possible l'effroyable chaos du terrain conquis.
"
Pour finir, le général
Nivelle a la charge des troupes qui vont participer à l'offensive,
soit 8 divisions.
3 d'entres elles vont attaquer en première ligne, sur un front
de 7 km.
A gauche, la 38e D.I. (général
Guyot de Salins) (8e Tirailleur, 4e Zouave, 4e Mixte Z.T. et R.I.C.M.),
renforcée par le 11e R.I., partira depuis la carrière d'Haudromont
et aura pour objectif d'atteindre la contre-pente nord du ravin de la
Couleuvre, de s'organiser dans le village de Douaumont et de reconquérir
le fort de Douaumont. Ce dernier objectif, le plus glorieux, est confié
au R.I.C.M. (Régiment d'Infanterie Colonial du Maroc), commandé
par le lieutenant-colonel Regnier ;
Au centre, la 133e D.I. (général
Passaga) (32e, 102e, 116e et 107e B.C.P., 401e R.T., 321e R.I.) aura pour
mission de s'emparer à la hauteur de Fleury, du ravin de Brazil,
des pentes de la Caillettes et du ravin de la Fausse-Cote ;
A
droite enfin, la 74e D.I. (général de Lardemelle) (50e et
71e B.C.P., 222e, 229e, 230e, 299e et 333e R.I.), renforcée par
le 30e R.I., partira de la Haie-Renard au fond de Beauprè et aura
pour objectifs de reprendre le Chênois, la Vaux-Régnier,
le bois Fumin, le Fond de la Horgne puis le fort de Vaux.
De part et d'autre, les régiments
d'aile des divisions voisines auront la tâche d'appuyer l'attaque
et d'éviter un contournement des troupes.
3 autres divisions vont intervenir en deuxième
ligne, la 7e D.I. (102e, 103e, 104e et 315e R.I.), la 9e D.I. (66e B.C.P,
4e, 82e, 113e et 313e R.I.) et la 36e D.I. (18e, 34e, 49e R.I. et 218e
R.I.).
Les 2 dernières resterons en soutient,
la 22e D.I.(19e, 62e, 118e et 116e R.I.) et la 37e D.I. (2e et 3e zouaves,
2e et 3e tirailleurs).
Depuis 1 mois, toutes les compagnies formant
ces bataillons qui vont attaquer, sont venues cantonner entre Bar-le-Duc
et Saint-Dizier.
Chaque jour, les troupes s'entrainent sur
des terrains aménagés pour ressembler aux différents
champs de bataille de Verdun. Les soldats qui vont assaillir le fort de
Douaumont par exemple, étudient par coeur à l'aide de plans,
la topologie du fort. De tel sorte que le jour J, ils puissent s'y déplacer
sans aucune hésitation.
Cantonnement à l'arrière
du front
Sur tous les fronts de Verdun,
mise à part quelques engagements locaux dans le secteur de Thiaumont,
la bataille qui dure depuis 7 mois s'atténue. Cette accalmie relative
permet aux Français de réaliser plus facilement leurs grands
préparatifs. Cependant, les pluies abondantes sapent le moral des
combattants et la lassitude est très grande de part est d'autre.
Témoignage du colonel DESPIERRES,
du 239e R.I. : "
Je vais faire la tournée du secteur en suivant la première
ligne. Je ressens une impression inimaginable ; des deux côtés,
boche et français, les tranchées sont envahies par l'eau.
Il y a une profondeur de près d'un mètre. C'est dire que
ces tranchées ne peuvent plus être occupées par les
éléments de première ligne. Tout le monde est sur
le parapet. Les Boches à dix mètres nous regardent avec
indifférence. C'est une véritable trêve qui paraît
être conclue entre les deux partis. On ne cherche qu'une seule chose,
c'est vivre comme on peut et surtout échapper à cette humidité
croissante qui, par les froids qui commencent, devient impossible à
supporter. "
Dans les
tranchées en automne et en hiver, dans les secteurs de fortes activités,
les hommes vivaient en permanence dans l'humidité, la boue, la
neige et surtout le froid. Souvent, en une semaine de tranchée,
quant l'action avait été pratiquement permanente, ils n'avaient
pu à aucun moment se réchauffer, souffrant du nez, des oreilles,
des mains, du corps tout entier, et surtout des pieds
Il était
formellement interdit de se déchaussé, et les pieds enserrés
dans les brodequins boueux et plein d'eau, macéraient, gonflaient
et pourrissaient.
Un très grand nombre d'hommes furent évacués pour
pieds gelés et restèrent estropiés après la
guerre.
Témoignage du Capitaine
André GUILLAUMIN du 102e R.I. : "
Mon P.C. se composait d'un vague trou dans la boue où nous nous
tenions, mon ordonnance et moi, mi-assis, mi-recroquevillés. Le
sol était si mou que les obus faisaient fougasse projetant un geyser
de boue...
L'un d'eux me frôla, s'enfonça presque à mes pieds,
et dans l'éclatement, au milieu d'une auréole de boue, se
dressa un officier allemand à demi décomposé, la
figure verte dans un uniforme vert. Je vois toujours ce cadavre, face
à face avec moi pendant une seconde, puis la masse de boue retomba
et il disparut.
Cette situation de stagnation
pesante dure jusqu'au 15 octobre. A cette date,
le général Nivelle rend compte au général
Pétain que tous les préparatifs sont prêts. Il ne
reste plus, à présent, qu'à définir le jour
et l'heure de l'offensive...
Le 9 octobre, le général
Nivelle a reçu le maréchal Joffre à la mairie de
Souilly. Ce dernier est venu s'enquérir de l'avancement des préparatifs.
Le 12, c'est au tour de Georges
Clemenceau, alors président de la commission de l'Armée
au Sénat, de faire le voyage depuis Paris.
Lorsqu'il descend de sa voiture devant
les marches de la mairie, tous les soldats présents l'applaudissent
et l'acclament.
Témoignage du commandant P
: "
Le Président, M. Clemenceau, ne jouissait dans l'armée d'aucune
popularité, mais on savait quel profond amour il portait à
son pays, on connaissait sa loyauté, son intéressement,
sa générosité, sa haute conscience, et peut-être
était-il, de tous "les maîtres de l'heure", l'homme
le plus estimé et le plus respecté des poilus. "
Après un court exposé
par Nivelle, conférencier hors pair, sur les grands points de l'offensive,
Clemenceau demande à être conduit sur la ligne de front.
Tous les officiers présents lui déconseillent ce déplacement
mettant en avant la dangerosité des lieux, mais le Président
l'exige et le cortège de voitures part pour Verdun.
Témoignage de Joseph MORELLET, agent de liaison au 407e R.I. :
"
Le deuxième échelon du 407 était à la tourelle
de Souville quand Clemenceau est arrivé, accompagné par
quelques officiers. A un moment donné, près de la tourelle,
un des officiers lui dit : "Monsieur le Président, là,
il faut être très prudent et faire vite ; c'est très
dangereux". Il répondit : "Quelle est la plus belle mort
pour moi que de la faire ici ?".
Il est peu de divisions qui n'aient à raconter sur Clemenceau une
anecdote semblable. En ce qui concerne celle-ci, nous avons vu Clemenceau
en première ligne à trois reprises, au Bois-Brûlé
en 1915, à Verdun en octobre 1916 et à la Main de Massives
en 1918, et dans les secteurs qui n'étaient pas choisis d'ordinaire
par les Parlementaires et les journalistes pour leurs visites au front.
C'était un homme ! "
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20 et 21 octobre - Début
de la préparation d'artillerie française sur la rive droite
A l'aube, la préparation d'artillerie française commence,
elle va s'intensifier jusqu'au 24 octobre.
Elle est constituée de 654 pièces
: 20 pièces de calibre 270 à 400 ; 300 pièces du
120 au 220 ; 334 pièces du 65 au 105.
Le front allemand est constitué alors de 7 divisions, soit 22 bataillons
mais très échelonnées en profondeur. Les hommes de
premières lignes sont totalement abrutis par la puissance du tir
français. Chaque position et élément stratégique,
préalablement repéré,
n'est épargné. C'est un déluge de fer et d'acier.
Les plus gros calibres sont réservés
pour les forts de Douaumont et de Vaux qui sont les 2 points stratégiques
à reconquérir.
L'artillerie allemande ne reste pas pour
autant inactive, et toutes les batteries françaises connues sont
contrebattues avec violence.
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22 octobre
- Préparation d'artillerie française sur la rive droite
Une attaque française est simulée par l'allongement subit
du tir d'artillerie et par des mouvements dans les tranchées françaises.
Cette ruse permet le repérage de 158 batteries ennemies nouvellement
mises en place et qui étaient restées muettes jusqu'à
présent.
Toutes ses batteries ainsi repérées
sont systématiquement pilonnées et seulement 90 seront signalées
en action le jour de l'attaque. Ces tirs ont été ajustés
avec l'aide de l'aviation française qui domine largement le ciel
de Verdun.
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23 octobre
- Préparation d'artillerie française sur la rive droite
Vers 8 h, la préparation d'artillerie française s'intensifie.
A 12 h 30, la superstructure du fort de
Douaumont est transpercée par un obus de 400 mm.
Pour tous les hommes présents dans le fort, le bruit incessant
et assourdissant du bombardement extérieur a été
soudain dominé par un déflagration gigantesque et un tremblement
plus important du sol. Tous les curs ont fait un bon dans leur poitrine
: "On
a été touché ?!".
L'obus a exploser au milieu de l'infirmerie, tuant sur le coup la 50e
de blessés et personnel sanitaire qui occupaient le lieu. Rapidement,
un important incendie se déclare avec beaucoup de fumée,
qui interdit tout accès.
10 minutes plus tard, un second obus
de 400 perce la voute de la casemate 8, ensevelissant tous les occupants.
Chaque quart d'heure en moyenne, un nouvel obus s'abat sur le fort dans
une explosion énorme qui secoue tout l'édifice. Les dégâts
causés sur la voute sont importants et le bombardement extérieur
semble beaucoup plus prêt et dangereux avec les trous béants
ainsi formés. La panique commence à gagner les hommes.
Le 5e obus, perce la voute du couloir principal, au niveau de la casemate
10, en ensevelissant une escouade.
Casemate effondrée par
un obus de 400 mm
(photo prise le 25 octobre, lorsque
le fort a été repris par les Français)
Dés lors, ce couloir devient impraticable.
Le commandant du fort, le chef de bataillon Rosendahl, du 90e R.I. donne
l'ordre à toute la garnison de gagner l'étage inférieur
du fort.
Lorsque le 6e obus explose, il est suivit d'une série de "coups
de pétards" et de grosses explosions. Passant par le trou
de la voute du couloir principal, l'obus est venu explosé tout
en bas, dans le dépôt de grenades et de munissions, tuant
une 50e de sapeurs du génie.
Un incendie très important propage des fumées opaques qui
avancent rapidement dans les couloirs. Chaque hommes se précipite
et met son masque à gaz, ceux qui n'y parviennent pas assez tôt
meurent dans des convulsions atroces. Certains soldats deviennent fous
et veulent sortir de cette souricière, mais les 2 issues sont violemment
bombardées par des obus toxiques.
A 14 h, la lumière s'éteint plongeant la fort dans les ténèbres.
A cette instant, continuer à tenir l'enceinte devint difficile.
A 17 h, l'évacuation du fort par tous les hommes "non indispensables"
est ordonné. Seul un petit groupe du génie, d'une 100e d'hommes
commandée par le capitaine Soltan du 84e R.I. reste avec la mission
d'éteindre l'incendie du dépôt à munissions.
Chaque homme devant évacuer, la peur au ventre mais avec une discipline
impressionnante, s'élance à l'extérieur à
travers les obus. Les 400 ont ralenti mais tous les autres calibres jusqu'au
220 se déchainent encore sur le fort. A 18 h, l'ordre d'évacuation
est exécuté.
Débute alors pour les hommes de Soltan une lutte à mort
contre la fournaise. Il n'y a plus d'eau pour éteindre les flammes
et beaucoup d'hommes, à bout de force, sont déjà
intoxiqués par les fumés et vomissent sans cesse. Le capitaine
Soltan envoie des coureurs pour demander un retrait en urgence, mais aucun
ne revient.
A 23 h, dans un dernier élan, Soltan ordonne de mettre une mitrailleuse
en position à la sortir nord-ouest. Mais plusieurs équipes
de mitrailleurs succombent successivement à cette place en raison
du bombardement par obus toxique qu'infligent des Français.
Entre 4 et 5 h, les hommes de Soltan évacuent enfin le fort, titubants,
vomissant, portant les malades sur des ciliaires, pas un ne fût
abandonné.
Durant la journée, les généraux
Pétain, Nivelle et Mangin se réunissent. Aux vues des résultats
positifs qu'a donné la simulation d'attaque de la veille, des prévisions
météo des jours à venir et des derniers rapports
concernant les préparatifs des régiments d'infanterie qui
attendent derrière le front, la décision est enfin prise.
Le jour J sera le lendemain, le 24 octobre, l'heure H, 11 h 40.
Dans la nuit, les hommes des régiments
des 38e, 74e et 133e D.I stationnés entre Bar-le-Duc et Saint-Dizier,
font leur paquetage et gagnent Verdun pour prendre position dans les parallèles
de départ.
Chacun a reçu un équipement spécial. En plus du chargement
habituel (outils individuels, toile de tente, couverture, habits de rechange,
ustensiles de cuisine et d'entretient, etc.) (voir la partie "Uniforme"
"L'équipement") et des 3 cartouchières bourrées
à craquer, chaque homme doit emporter en plus 2 musettes contenant
plusieurs rations fortes et rations de réserves (voir la partie
"Uniforme" "L'équipement"), une musette
à grenades, un second masque à gaz, un second bidon contenant
du vin ou de l'eau et 2 sacs à terre. Un fardeau démesuré
d'au mois 40 kg, pour des hommes qui doivent rester frais au moment de
l'assaut.
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24
octobre - Grande offensive française rive droite. Reconquête
du fort de Douaumont
(Voir "Le fort de Douaumont"
dans la partie "Fortifications")
Ordre du jour du général
Passaga, commandant la 133e D.I. : "
Officiers, sous-officiers, soldats, il y a près de huit mois que
l'ennemi exécré, le Boche, voulut étonner le monde
par un coup de tonnerre en s'emparant de Verdun. L'héroïsme
des " poilus " de France lui a barré la route et a anéanti
ses meilleures troupes.
Grâce aux défenseurs de Verdun, la Russie a pu infliger à
l'ennemi une sanglante défaite et lui capturer près de quarante
mille prisonniers.
Grâce aux défenseurs de Verdun, l'Angleterre et le France
le battent chaque jour sur la somme, où elles lui ont déjà
fait près de soixante mille prisonniers.
Grâce aux défenseurs de Verdun, l'armée de Salonique
celle des Balkans battent les Bulgares et les Turcs.
Le Boche tremble maintenant devant nos canons et nos baïonnettes,
il sent que l'heure du châtiment est proche pour lui.
A nos divisions revient l'honneur insigne de lui porter un coup retentissant
qui montrera au monde la déchéance de l'armée allemande.
Nous allons lui arracher un lambeau de cette terre où tant de nos
héros dorment dans leur linceul de gloire.
A notre gauche combattra une division, déjà illustre, composée
de zouaves, de marsouins, de Marocains et d'Algériens ; on s'y
dispute l'honneur de reprendre le fort de Douaumont. Que ces fiers camarades
sachent bien qu'ils peuvent compter sur nous pour les soutenir, leur ouvrir
la porte et partager leur gloire !
Officiers, sous-officiers, soldats, vous saurez accrocher la croix de
guerre à vos drapeaux et à vos fanions ; du premier coup
vous hausserez votre renommée au rang de celle de nos régiments
et de nos bataillons les plus fameux. La Patrie vous bénira. "
A 7 h, une petite section allemande formée
d'une 20e d'hommes, sous les ordres du capitaine Prollius, retourne à
l'intérieur du fort de Douaumont pour y faire une inspection. Bien
que le dépôt du génie flambe toujours et que l'infirmerie
soit toujours inaccessible par l'odeur qui y règne, l'air est plus
ou moins respirable dans les autres parties du fort. Bien que 6 casemates
soient totalement détruites et que le couloir supérieur
soit percé en 3 endroits, il existe toujours une liaison entre
la partie ouest et la partie est par le couloir inférieur. Les
issues des coffres simples ouest et est sont encore partiellement utilisables.
Le capitaine Prollius tire la conclusion que le fort peu encore être
défendu si des forces suffisantes équipés de mitrailleuses
regagnent la forteresse.
Il envoie aussitôt un message par coureur stipulant l'envoie de
renfort.
Dans la matinée, un certain nombre
de soldat allemands sortent de leur tranchée et viennent se porter
prisonnier dans les lignes françaises. Ils sont à bout de
force en raison du bombardement qu'ils subissent depuis 4 jours.
Témoignage du général DOREAU, de la 213e Brigade
: "
Ceci ce passait le 24 octobre 1916. Mon P.C. était installé
au bas du glacis de Souville, à 300 ou 400 mètres, pas plus,
de la ligne de trous d'obus qui servait au 401e R.I. de tranchée
de première ligne.
Il ne comportait, étant donné la nature du terrain, que
quelques mauvaises sapes, à sol horizontal, creusées les
unes à côté des autres, larges chacune de moins de
deux mètres. Outre mes deux officiers d'état-major, j'avais
avec moi, ce jour-là, un officier d'artillerie et un officier (de
liaison) de chacun de mes trois corps: 401e R.I., 32e et 107e B.C.P.
Donc, pressés les uns contre les autres, casqués, vêtus
de capotes de troupe maculées de boue, et éclairés
par deux bougies fichées dans des pommes de terre coupées,
sept êtres humains, pas du tout décoratifs, dans un cadre
qui ne l'était pas non plus.
Le
premier prisonnier qu'on m'amena fut un oberleutnant. Priè de me
remettre ses papiers, il s'exécute. Interrogé sur sa qualité,
il déclare être officier de réserve, instituteur dans
la vie civile. Puis, un peu rassurè et se ressaisissant au bout
de quelques minutes, il essaie de regimber, et ce dialogue s'angage :
- Mais enfin, qui êtes-vous pour me questionner ?
- Je suis un commandant de brigade, et ces messieurs sont les officiers
de mon état-major.
- Un commandant de brigade ?... Ici ?...
- Oui, ici ; et dés demain matin, il ira plus loin vers le nord.
Un
ahurissement inexprimable se paignit sur sa physionomie. Evidemment, dans
l'armée allemande, les officiers généraux ou ceux
qui en tenaient le rôle, n'avaient pas coutume de se loger dans
des sapes inconfortables, situées à 300 mètres des
tranchées de première ligne ..."
11
h 30, 10 minutes avant l'heure H.
Depuis l'aube, un brouillard assez dense s'est rependu sur tout le front.
Bien que chacun espérait qu'il se dissipe avant l'assaut, il est
toujours aussi épais et empêche de voir à plus de
10 mètres. Si d'un côté il empêche les mitrailleurs
allemands à bien ajuster leurs tirs, de l'autre, il sera dangereux
aux soldats français de s'y engager et surtout de s'y perdre.
Témoignage de Edouard
BOURGINE du 3e bis Zouaves : "
Ce matin, un épais brouillard estompait uniformément chaque
chose, impossible de voir à deux pas devant soi.
Brusquement, des patrouilleurs boches trouèrent le brouillard devant
nous. Ils allaient paisiblement, les mains dans les poches, l'arme à
la bretelle. Stupéfaits, nous eûmes un instant d'indécision.
C'est alors que le gradé boche proféra d'un ton lamentable
" triste guerre messieurs, triste guerre
" puis le brouillard
l'enveloppa. "
11 h 40, l'heure H.
Une clameur se soulève soudain dans le camps français, d'un
même élan, des
milliers d'hommes sortent des tranchées est s'élancent vers
l'avant sur un terrain lourd et glissant.
Chaque unité se dirige à
la boussole en direction du nord-est à la vitesse de 100 mètres
toutes les 4 minutes. Elles sont précédées d'un formidables
barrage roulant qui interdit aux Allemands de sortir de leurs abris.
Voici en détail, les unes après
les autres, toutes les actions menées :
La gauche du plan d'attaque est tenue par
la 38e D.I. (8e Tirailleur, 4e Zouave, 4e Mixte Z.T., R.I.C.M.) et renforcée
par le 11e R.I. Mission : atteindre la contre-pente nord du ravin de la
Couleuvre et la carrière d'Haudraumont, s'organiser dans le village
de Douaumont et reconquérir le fort de Douaumont :
Le 11e R.I. (lieutenant-colonel de Partouneaux),
à l'extrême gauche du dispositif, se porte à 11 h
38 (en raison d'une montre mal rêglée), à l'assaut
de la tranchée Balfourier et de la carrière d'Haudraumont.
S'il trouve la tranchée Balfouquier inoccupée,
la carrière est quant à elle fortement défendue.
Après un dur combat à la grenade, il parvient à capturer
tous les occupants de la carrière. Il repousse ensuite d'incessantes
contre-attaques jusqu'à la fin de la journée.
Le 8e Tirailleur (lieutenant-colonel Dufoulon)
et le 4e Zouaves (lieutenant-colonel Richaud) s'élancent à
l'heure H en poussant des hurlements.
Ils
atteignent rapidement les tranchées allemandes qu'ils ont en face
d'eux. L'ennemi qui attendait pourtant l'assaut français est totalement
surpris par la rapidité du mouvement et se rend sans combattre.
Témoignage de X : "
Un
officier supérieur sorti en hâte de son abri à l'appel
de l'Adjudant Caillard, apparaît en culotte, sans ses molletières
qu'il tient à la main et qu'il offre à l'Adjudant Caillard
en criant " Chef de Corps ! , Chef de Corps ! ". Un vaguemestre
était en train de procéder au triage des lettres, il sort
de son trou les yeux hagards, les deux bras levés, brandissant
dune main sa boite aux lettres, de l'autre une liasse d'enveloppes
et s'écrie d'une voix suppliante : " Pardon, pardon, Monsieur
! ". Il est à remarquer que la plupart criaient : " Pardon
", plus encore que " Kamarade ". Nous les encouragions
de notre mieux, leur disant dans leur langue qu'on ne leur ferait pas
de mal s'ils se rendaient. "
Les prisonniers sont conduits
en direction du ravin des Trois-Cornes où se trouve le P.C. du
régiment.
A 12
h, le bois de Nawé et la contre-pente nord du ravin de la Dame
sont reconquis.
A 14 h, la contre-pente nord du ravin de la Couleuvre
est atteinte. Les hommes s'y déploient et poursuivent en direction
du village de Douaumont.
Les ruines du village sont reprises à
14 h 45 par le 4e Zouave qui s'y fortifie.
Deux patrouilles poursuivent ensuite en direction
du fort de Douaumont pour tenter de le contourner.
A 15 h, une patrouille de la 17e compagnie du 8e Tirailleur part faire
une reconnaissance en avant des lignes. Elle descend dans le ravin de
la Goulotte, puis dans le ravin de Helley ou elle attaque plusieurs abris
ennemis et fait plusieurs prisonniers.
Le 4e Mixte Z.T. (lieutenant-colonel Vernois)
subit peu de temps avant l'heure H, un tir bien ajusté de l'artilleries
allemandes. Les blessées et les morts sont nombreux, 200 hommes
environs.
A 11 h 39, il s'élance tout de même et parvient à
atteindre la ferme de Thiaumont et à la reprendre.
A 12 h 25, ayant poursuivit sa progression, il se trouve face au bois
Morchée.
A 14 h 45, il aborde le village de Douaumont et
le réoccupe avec le 4e Zouave. Il s'établie finalement à
60 m en avant du village.
Le R.I.C.M. (Régiment d'Infanterie
Colonial de Maroc) (lieutenant-colonel Regnier) part du ravin des Vignes:
- le 4e bataillon (commandant Modat) doit s'emparer de la 1ère
ligne ennemie et s'y organiser défensivement.
- le 1er bataillon (commandant Croll) doit dépasser le 4e, encercler
le fort de Douaumont et s'organiser en avant.
- le 8e bataillon (commandant
Nicolay) doit pour finir prendre
et nettoyer le fort.
A 11 h 40, le 4e bataillon s'élance
vigoureusement mais se heurte rapidement à un tir de mitrailleuse
imprévu. Cette mitrailleuse allemande s'est infiltrée à
la faveur du brouillard dans les premières lignes françaises.
Ces dernières avaient été évacuées
pour ne pas risquer que leurs occupants subissent le tir de l'artillerie
française. Tous les hommes sautent aussitôt dans les trous
pour se mettre à l'abri. Dans cet élan, le commandant Modat
est blessé.
Un certain "flottement" se produit alors dans la troupe, composée
de Sénégalais. Il devient urgent que cette mitrailleuse
soit maitrisée si l'on ne veut pas réduire à néant
l'entrain qui avait été manifesté au départ.
Le capitaine Alexandre, qui a pris le commandement, prend aussitôt
l'initiative et s'élance en hurlant en direction de la mitrailleuse.
Electrisés, ses hommes le suivent et en quelques minutes, les servants
de la mitrailleuse sont tués à coup de grenade.
La troupe peut enfin poursuivre
sa progression. Elle occupe bientôt les tranchées allemandes
de premières lignes et s'y fortifie.
Comme cela est convenu,
le 1er bataillon dépasse alors le 4e bataillon à travers
le brouillard. Il s'avance vers le fort afin de le contourner par la gauche
et la droite et s'établir au-delà. Cependant, à quelques
300 m des fossés, le brouillard se déchire brusquement et
le bataillon s'aperçoit qu'il est seul dans la plaine. Il doit
théoriquement, avant de continuer plus avant, attendre le 8e bataillon
qui à la mission d'investir le fort et qui est le seul outillé
pour !
Quelques temps plus tard,
ne voyant toujours pas le 8e bataillon et trépiniant d'impatience,
le capitaine Dorey, sous les ordres du commandant Croll, décide,
puisque personne ne vient l'aider, de poursuivre son élan et de
prendre le fort seul.
Témoignage du sergent
Gaston GRAS du R.I.C.M : "
Il
commande l'attaque immédiate, sans perdre une secondes !
Les ordres s'envolent, frémissants, martiaux !
- Compagnie Brunet ! Courez à la face sud-ouest, et attaquez !
- Compagnie Mazeau ! Attaquer la gorge du fort ! et dare-dare !
- Compagnie Fredaigne ! Rester en arrière pour recueillir la bataillon,
s'il tombe sur un bec !...
- Goubeaux ! suivez-moi avec les mitrailleuses de réserve ! Nous
allons, entre Brunet et Mazeau, prendre notre part de l'attaque !
Alors, transfigurées, au pas de course, les compagnies obéissent.
En tête de la compagnie Brunet, une patrouille de combat, commandée
par un humble mais héroïque caporal, Béranger, saute
hardiment dans le fossé du fort, se précipite sur le coffre
de contrescarpe : déjà des mitrailleurs ennemis s'assoient
précipitamment à leurs pièces, engagent des bandes
souples, vont tirer ; à coup de crosses, la patrouille Béranger
les assomme à leurs postes
Désormais, le fossé ne sera plus balayé par la Maxims,
mise à la raison
De son côté, la compagnie Mazeau se rue dans la gorge, s'en
empare.
La compagnie Fredaigne les suit, commandée par un simple adjudant,
tous les officiers ayant été tués au cours de l'attaque
Alors un torrent d'hommes se jette dans les fossés, grimpe sur
le fort, envahit les superstructures : c'est un calvaire, mais un calvaire
triomphal. "
Qu'est devenu de le 8e
bataillon ? Il s'est élancé dans la brume à la suite
des 2 autres bataillons. Boussole à la main, le commandant Nicolay
progresse droit devant mais s'étonne de ne pas rencontrer les obstacles
qu'il a sur son plan. Au bout d'un moment, alors qu'il aurait déjà
dû rencontrer le fort, il stoppe son bataillon dans l'incertitude
la plus complète.
Soudain, un soldat allemand
qui hère entre les lignes s'approche. Il est mené au commandant
et questionné hâtivement. Puis il donne la bonne direction
pour atteindre le fort... Il s'avère que Nicolay avait dirigé
son bataillon trop à l'est car l'aiguille de la boussole était
déviée par l'acier de son revolver. Le bataillon reprend
sa marche rapidement.
Il arrive enfin devant les fossés du fort et retrouve le 1er bataillon
qui vient juste d'occuper les superstructures.
La relève se déroule,
le 8e bataillon fortifie les superstructures et commence à pénètre
à l'intérieur du fort pour le nettoyer petit à petit
de ses occupants.
Le 1er bataillon, quant à lui, reprend sa marche vers le nord et
va s'établir devant le fort, sur les emplacements qui constituent
son objectif final.
Témoignage de Fernand DUCOM
de la compagnie divisionnaire 19/2 du Génie, mise à disposition
du 8e bataillon du R.I.C.M. : "
Nous passons près de l'abri Adalbert, ruiné, au sud-ouest
du fort ; puis dans un ultime élan, nous atteignons le fossé
de Douaumont. Contemplant notre proie, hésitant sur le bit à
atteindre, nous marquons un temps d'arrêt. Mais le sous-lieutenant
Huguet, qui a aperçu la tourelle de 155, notre objectif, de s'écrier
: " Allons ! en avant, génie ou coloniaux ! " Nous partons
trois en tête, la baïonnette haute, le doigt sur la détente
; il me semble que je suis invulnérable. Nous défilons devant
de nombreux créneaux aménagés sur la face du fort
; pas un coup de feu n'en sort. Quelques grenades sont lancées
dans les cheminées d'aération. Dans un suprême effort,
nous grimpons sur la tourelle de 155
Mais les Allemands, repliés dans une carrière, à
300 mètres de là, nous ont aperçus. Des obus de petit
calibre, ceux d'un canon-revolver, qui doit faire mouche à chaque
coup, commencent à tomber
Les
projectiles éclatent sans interruption, de tous côtés
; des blessés, des morts jonchent le sol. La mitrailleuse des coloniaux,
en position à quelques mètres devant nous, a un grand nombre
de ses servants hors de combat. Quelques-uns ont des blessures affreuses
; et il est singulièrement émouvant de voir avec quel empressement
les indemnes prennent leur place.
Maurice Daney, le plus cher de mes amis de guerre, tombe dans les bras,
le crâne ouvert, frappé à mort. Je ressens moi-même
un choc violent au bras, un autre au cou, ma capote est criblée
d'éclat et cependant je n'ai aucune blessure
Venant du chaos du champ de bataille et pénétrant dans le
fort par l'entrée principale
Errant dans les couloirs, je
tombe enfin sur mon capitaine, tout heureux de me savoir vivant. Son premier
lieutenant est blessé, quatre des sous-lieutenants seulement sont
indemnes, les autres sont tués, blessés ou disparu.
Chargés de trouver un logement pour les survivants de la compagnie,
je découvre plusieurs locaux près de la chambre du commandant
allemand, le hauptmann Prollius. Ce dernier est là et l'honneur
de sa capture revient à l'un de nos hommes, le maître-ouvrier
Dumont, un petit gars débrouillard de la banlieue parisienne. Pénétrant
le premier dans le fort, avec un seul colonial, il sut en imposer aux
quatre officiers et aux vingt-quatre hommes, des pionniers, qui en constituaient,
au moment de l'attaque, toute la garnison. Quelle ne fut pas la surptise
du gros des attaquants lorsque, descendant un grand moment après
dans l'ouvrage, ils trouvèrent nos deux gaillards en compagnie
d'une bande d'Allemands, avec qui ils faisaient déjà bon
ménage
L'état-major allemand est présenté au commandant
Nicolaï. Les quatre officiers, d'une correction extrême, paraissent
ahuris de notre succès. S'adressant en bon français au chef
du 8e bataillon : " Monsieur, dit le commandant allemand, je suppose
que vous serez heureux de vous installer dans ma propre chambre ; elle
est à votre disposition ". " Monsieur, lui répond
Nicolaï, en le toisant de haut, le commandant français couchera
cette nuit à la porte du fort, avec ses hommes
". J'ai
entendu cela
"
Voyons maintenant les autres actions du
plan d'attaque français.
Le centre est tenu par la 133e D.I. (32e, 102e, 116e et 107e B.C.P., 401e
R.T., 321e R.I.). Mission : s'emparer à la hauteur de Fleury, du
ravin de Brazil, des pentes de la Caillettes et du ravin de la Fausse-Cote.
A 11 h 40, le 116e B.C.P.
(commandant Raoult) s'élance de Fleury et des abords de la station.
En 58 minutes, il atteint le bas de la croupe nord du ravin de Bazil,
entre le ravin de la Caillette et celui de la Fausse-Côte. Son objectif
est atteint.
A 11 h 40, le 102e B.C.P. (commandant Florentin)
suit le 116e B.C.P. jusqu'au ravin de Bazil. Il
passe ensuite devant lui et atteint le ravin de la Fausse-Côte,
après avoir dispersé à la baïonnette un bataillon
ennemi.
A 11 h 40, le 107e B.C.P. (commandant Pintiaux)
sort des tranchées au nord de la chapelle Sainte Fine, franchit
sans grande résistance le bois de Vaux-Chapitre et le ravin du
Bazil. Il arrive enfin dans la région nord de l'étang de
Vaux. Son objectif est atteint.
A 11 h 40, le 401e R.I. (lieutenant-colonel
Bouchez) s'avance dans le ravin des Fontaines.
Ses éléments de gauche atteignent assez vite le débouché
du couloir de la Fausse-Cote et peuvent s'y organiser. Par contre, ceux
de droite se heurtent à une forte résistance dans le ravin
des Fontaines et au "Nez de Souville".
Après un dur combat, le régiment parvient tout de même
jusqu'à l'étang de Vaux. Son objectif est atteint.
A 11 h 40, le 321e R.I.
(lieutenant-colonel Picard) débouche de la tranchée de Pauly
et Vidal, au nord-ouest de Fleury. Il part vers le nord-est pour atteindre
à 12 h 35 la croupe du bois de la Caillette.
A 13 h 30, la 19e et 23e compagnie et la 5e compagnie de mitrailleuses,
toutes trois commandées par le commandant Megemont, reprennent
leur marche et arrivent en vue du fossé sud-est du fort de Douaumont.
Leur mission est de s'emparer de la batterie à l'est du fort, ce
qu'elles parviennent à faire rapidement car la batterie est sans
défenseur.
Le commandant Megemont se trouve ensuite dans le même embarras que
va l'être le capitaine Dorey, du 1er bataillon du R.I.C.M. dans
30 minutes : Il se trouve seul face au fort de Douaumont qui semble à
porté de main... Il va alors réagir avec la même audace
que le fera Dorey, laissant le gros de la troupe aux abords immédiats
du fort, il traverse le fossé sud-est avec 3 hommes.
Il atteint rapidement l'observatoire et la petite tourelle est, puis,
alors que quelques hommes sont venus grossir la troupe, capture un sous-officier
allemand et 7 hommes.
Une demi heure plus tard, le commandant Megemont et ses hommes retrouvent
sur la superstructure du fort les éléments du 1er bataillon
du R.IC.M. puis du 8e bataillon.
Le 321e R.I. est donc, en cette journée historique, sous la forme
d'une poignée d'homme, le premier à avoir escaladé
les remparts du fort de Douaumont.
Témoignage du colonel PICARD,
du 31e R.I. : "
Le régiment colonial du Maroc devait, le 24 octobre, prendre le
fort : il l'a pris: ça, c'est de l'histoire. Mais il pourra impartialement
ajouter que ce sont les vieux du 321e régiment d'infanterie qui,
les premiers, ont grimpé sur le fort : ça aussi, c'est de
l'histoire. "
La droite est tenue par la 74e D.I. (50e
et 71e B.C.P., 222e, 229e, 230e, 299e et 333e R.I.) renforcée par
le 30e R.I. Ses positions vont de la Haie-Renard au font de Beaupré.
Mission : s'emparer du Chênois, de la Vaux-Régnier, du bois
Fumin, du Fond de la Horgne puis du fort de Vaux.
A 11 h 40, le 230e R.I. (lieutenant-colonel
Viotte) s'élance des tranchées Claudel et Garrand et conquiert
en 10 minutes les 1ere positions ennemies.
A peine reparti vers son 2e objectif, le régiment
est pris sous le feu des mitrailleuses allemandes qui, devant le bois
Fumin, sortent des trous d'obus et de l'ouvrage de la Sablière.
Les pertes sont lourdes. Il doit stopper sa marche dans la tranchée
Gotha-Siegen. Il est bloqué à cet endroit tout le reste
de la journée.
A 11 h 40, le 333e R.I. (lieutenant-colonel
Franchet d'Esperey) s'élance vers les tranchées de Moltke
et Fulda et parvient à les enlever malgré la violence du
feu allemand.
Il s'élance ensuite vers la Vaux-Régnier
et aborde l'ouvrage des Grandes-Carrières et s'en empare à
12 h 15.
Cette avancée lui a coûté de nombreuses pertes et
c'est avec des forces réduites qu'il tente d'atteindre les Petites-Carrières
nord. Son but et de contourner le fort de Vaux par l'ouest.
Malgré l'aide du 50e B.C.P., il ne peut exécuter ce mouvement.
Les compagnies se fortifient sur place.
S'abat alors sur ses positions un violent bombardement de l'artillerie
française qui n'est pas au courant des nouvelles positions de son
infanterie. Il est contraint de reculer et de laisser le terrain qu'il
vient de conquérir.
A 11 h 40, le 299e R.I. (lieutenant-colonel
Vidal) au centre de la division, s'élance des parallèles
de départ et tombent sur les tranchées Clausewitz et Seydlitz
protégées par des barbelés intact et fortement occupés.
9 h durant, il se bat à la grenade sans pourvoir
prendre le dessus sur l'ennemi.
A 18 h, il reçoit le renfort d'éléments
des 50e et 71e B.C.P. et envisage un nouvel assaut.
Il s'élance à 20 h et parvient enfin
à enfoncer les îlots de résistances ennemis. Il reprend
la tranchée de la Horgne, dépasse ensuite le petit Dépôt
et achèvent son encerclement vers minuit.
Les pertes sanglantes qu'il a subit ne lui permettent pas de continuer
la lutte. Certaines compagnies ont perdu les ¾ de leurs effectifs.
Le général
de Lardemelle, qui commande la 74e D.I., déçu de ne pas
avoir ou reconquérir le fort de Vaux, est contraint à demander
au bataillon de se fortifier sur place.
A 11 h 40, le 50e B.C.P. sort des tranchées
au nord de la chapelle Sainte Fine, franchit sans grande résistance
le bois de Vaux-Chapitre et le ravin du Bazil. Il arrive enfin dans la
région nord de l'étang de Vaux.
Des éléments se joignent au 333e R.I. pour tenter d'atteindre
les Petites-Carrières nord, afin de pouvoir contourner le fort
de Vaux par l'ouest. Cependant, ce mouvement ne peut être exécuté.
Les éléments se fortifient sur place.
A 18 h, d'autres éléments se joignent au 229e R.I. qui tente
d'enlever les tranchées Clausewitz et Seydlitz.
A 20 h, ses éléments lancent avec le 229e un assaut qui
permet d'enfoncer les îlots de résistances. Les 2 tranchées,
puis leurs arrières sont reconquises vers minuit.
A l'heure H, le bataillon Baillods du 30e
R.I. s'élance et enlèvent les tranchées Werber et
Von Kluck au sud de Damloup. De nombreux soldats allemandes sont capturés.
Témoignage du sous-lieutenant
MARTIN, du 30e R.I. : "
Soudain, des coups de feu dans le dos. Derrière nous, à
gauche, à cant cinquante mètres, la batterie de Damloup
émerge du sol ; la compagnie du régiment voisin (222e R.I.)
qui devait l'occuper se sera égarée dans le brouillard.
Quelques Boches, le déluge d'obus passé, ont commencé
à sortir de leurs profonds abris. Effarés sans doute de
voir les Français derrière eux, ils tiraillent déjà.
Un frisson d'angoisse. Que faire ? Quelle décision prendre ? Mon
capitaine n'est pas là est les secondes sont précieuses.
A la grâce de Dieu ! Je crie de toutes mes forces : demi-tour ;
à la batterie
au pas de course !...
Nous courrons comme des fous. Il s'agit d'arriver avant que tous les Allemands,
sortis de leur abris bétonnés, ne soient installés.
J'ai demandé à un camarade, officier mitrailleur, qui nous
accompagne, de tirer quelques bandes par-dessus nos têtes, pour
effrayer l'ennemi. Il s'arrête vite, craignant de nous atteindre.
Mais déjà nous voilà en haut de l'ouvrage, criant
comme des démons. " Feu ! " les grenades voltigent. Il
était temps. Déjà une mitrailleuse boche s'installait,
dont les servants sont immédiatement descendus et je hurle : "
Hände hoch ! (haut les mains !) Désemparés par cette
attaque qui leur arrive dans le dos, affolés. Quelques Boches ont
levé les bras, un officier en tête ; les autres les imitent,
et en voilà qui sortent de leur abris. Il en vient, il en vient
encore ; trente, cinquante, quatre-vingts, tous levant frénétiquement
les bras. Et nous ne sommes qu'une cinquantaines de Français, le
fusil prêt, des grenades à la main ; ne laissant libre que
le côté français, je leur indique la direction avec
mon bras tendu, tandis que dans ma poitrine, mon cur bondit de joie
et de fierté
Les Boches courent vers l'arrière, où
les territoriaux qui les attendent agitent leur casque à bout de
bras pour nous acclamer. Dans les abris de la batterie, nous avons ramassé
quatre Minnenwerfer et six mitrailleuses
Nous sommes retournés à nos emplacements. Stupéfait
et ravi, mon capitaine téléphone le succès au colonel
tandis qu'arrivent nos voisins de gauche (222e R.I.), assez étonnés
d'occuper la batterie sans coup férir
"
A 11 h 40, le bataillon Desbrochers des
Loges du 222e R.I. saute hors des tranchées Mudra et Steinmetz
au bois de la Lauffée. Il s'empare de l'abri dit "du combat"
après un fort combat à la grenade. Il poursuit sa marche
et occupe la batterie de Damloup prise par le 30e R.I. Il ne peut progresser
plus avant.
Le bilan de
la journée est très satisfaisant.
En ce qui concerne la 133e D.I., tous les objectifs sont atteints à
16 h 30 : le ravin du Bazil (116e B.C.P.), le ravin de la Fausse-Côte
(102e B.C.P.), la moitié ouest
du bois de Vaux-Chapitre et la région nord de l'étang de
Vaux (107e B.C.P.), le ravin des Fontaines et le "Nez de Souville"
(401e R.I.), le bois
de la Caillette et la batterie à l'est du fort de Douaumont (321e
R.I.).
En ce qui
conerne la 38e D.I., tous les objectifs sont atteints à 20 h :
la carrière d'Haudraumont
(11e R.I.), le bois de Nawé, le ravin de la Couleuvre et le village
de Douaumont (8e Tirailleur et 4e
Zouaves), la ferme de Thiaumont (4e Miste Z.T.),
le fort de Douaumont et ses abords (R.I.C.M.).
En ce qui
concerne la 74e D.I., malgré une lutte acharnée toute l'après-midi
et une bonne partie de la nuit, les objectifs n'ont pas put tous être
atteints. Ont été repris : la moitié est du bois
de Vaux-Chapitre (50e B.C.P.), une partie du bois Fumin (230e R.I.), la
Vaux-Régnier (333e R.I.), le Fond de la Horgne (299e R.I.).
Les troupes n'ont pas pu aborder le plateau du ford de Vaux et le fort
lui même.
Malgré ces quelques échecs,
le 24 octobre est une journée glorieuse pour les combattants de
Verdun. Le fort de Douaumont est définitivement repris et le fort
de Vaux est de nouveau très proche des 1ere lignes françaises.
Les gains ont été de 6000 prisonniers, 164 mitrailleuses
et 15 canons.
Témoignage de Fernand DUCOM de la
compagnie divisionnaire 19/2 du Génie, mise à disposition
du 8e bataillon du R.I.C.M. : "
On
a écrit que le fort, en cette soirée du 24, était
dans un état de saleté repoussante, qu'une odeur nauséabonde
y régnait. J'avoue n'avoir pas du tout vu Douaumond sous cet aspect
peu engageant. En réalité, les Allemands avaient admirablement
organisé leur conquête. Des lampes électriques à
réflecteurs répandent partout une brillante lumière
; des lits confortables ont été placés dans tous
les locaux ; toutes sortes d'appareils (téléphones, T.S.F.,
appareils à oxigène contre les gaz, tous de marque allemande),
ont été installés ; les couloirs sont propres, l'atmosphère
nullement empuantie, contrairement à ce qu'on écrit. Le
fort possède une centrale électriqu, un "lazarett"
(hôpital) bien organisé et même un "kasino".
Visiblement, l'ennemi s'était installé de façon définitive;
notre arrivée foudroyante l'a surpris, ne lui laissant pas le temps
d'organiser une défence sérieuse. Quelques Allemands ont
essayé de résister ; leurs cadavres gisent de-ci-de-là,
complétement carbonisés par les lance-flammes de notre compagnie
Schilt
Un
incendie a été allumé par nos obus dans une casemate
effondrée ; le commandant allemand, qui ne doit être évacué
vers l'arrière en tant que prisonnier qu'à l'aube, offre
de l'éteindre avec ses hommes ; on le lui accorde et je suis chargé
de le surveiller. Muni, ainsi que ses pionniers, d'appareils Draeger à
oxygène, il s'emploie très activement à l'extinction
du feu, fort menaçant. Il faut voir avec quelle promptitude ses
hommes obéissent aux ordres qu'il leur donne.
Ainsi, pendant cette nuit du 24 au 25 octobre, le fort de Douaumont posséda
deux commandants : un Allemand, un Français.
Revolver au poing, isolé pendant plusieurs heures avec mes Boches,
j'ai pu causer longuement avec leur commandant, le Hauptmann Prolius,
nullement arrogant, quoi qu'on en ait dit, et qui parle assez correctement
le français. C'est un capitaine d'artillerie d'active, âgé
de 32 ans, au front depuis le début de la guerre et décoré
de la Croix de fer. Le véritable commandant du fort ayant été
blessé, il exerçait ses fonctions depuis trois semaines.
Il admire en connaisseur le travail de notre artillerie ; il reste pensif
quand on lui parle de Verdun ; beau joueur, il reconnaît notre succès,
mais il croit malgré tout à un coup prochain et décisif
de l'Allemagne.
En attendant, il m'annonce la prise de Bucarest, et il me donne son opinion
sur les principaux alliés : le soldat français est le meilleur
de tous (c'est aussi mon avis, mais dans sa position, il ne pouvait guère
me dire le contraire) ; l'Anglais ne vaut rien comme guerrier, il est,
de plus, cordialement détesté ; le Russe, ordinairement
brave, attaque en masses compactes et subit des terribles pertes. La guerre
sur le front oriental est beaucoup moins dure que chez nous
"
Les Allemands quittent le fort,
repris par les Français
(photo prise le 25 octobre)
Front au 24 octobre 1916
haut
- milieu - bas
25 octobre - Organisation
des positions conquises la veille et poursuite de la lutte
Les succès de la
veille ont donné un grand espoir aux soldats et aux officiers.
Le général Mangin ordonne la poursuite de l'offensive avec
la reprise du fort de Vaux le jour même.
Dans la nuit, le 113e R.I. monte en ligne
dans le secteur qui s'étend du fort de Douaumont au ravin de la
Fausse-Cote. Il occupe le ravin de la Caillette, du Bazil et de Chambouillat
et notamment, la tranchée du chemin de fer.
Le 102e R.I. releve le 1er bataillon
du R.I.C.M. Dans l'attaque de Douaumont, le R.I.C.M. a perdu 829 hommes
et 23 officiers.
Au matin, les unités qui occupent
le fort de Douaumont organisent la défense.
Témoignage de Fernand DUCOM de la compagnie divisionnaire 19/2
du Génie, mise à disposition du 8e bataillon du R.I.C.M.
: "
Au
petit matin, mon capitaine me charge d'organiser la défence du
fort ; obstruction des entrées, aménagement de créneaux
de tir et d'emplacements de mitrailleuses, avec tous les sapeurs disponibles.
La compagnie a également pour mission la surveillance des issues
et la police intérieure. Cela vaut au simple sergent que je suis
une altercation violente avec un commandant du 102e R.I., venu relever
le 1er bataillon du R.I.C.M. et qui s'obtine à encombrer les couloirs
de Douaumont, au lieu d'aller occuper ses positions, en avant du fort.
Devant mon attitude énergique, il se décide enfin à
évacuer la place."
Une entrée obstruer et
une mitrailleuse allemandes retrouvée dans le fort de Douaumont
A 10 h, 2 bataillons du 216e R.I., en ligne
dans le secteur de la Vaux-Regnier, s'avancent des carrières vers
le fort de Vaux. Ils sont fauchés par les mitrailleuses allemandes
et ne peuvent progresser.
Le 230e R.I. continue sa lutte en s'efforcant
d'avancer par petites fractions dans le bois Fumin. Il est bloqué
sur ses positions par le bombardement allemand.
Les 233e et 333e R.I. tentent de reprendre
le terrain qu'ils ont dut quitter la veille, mais sans succès.
Finalement, à la fin de la journée,
aucun régiment n'est parviennu à améliorer ses positions.
Le bombardement allemand a été très violent, surtout
dans le secteur de Vaux.
haut
- milieu - bas
26 au 31 octobre - Nouvelle
préparation d'artillerie française sur le fort de Vaux
Aucune nouvelle progression n'est réalisée. De part et d'autre,
chaque camp reste sur ses positions, à bout de force, sous une
pluie qui ne cesse.
Témoignage de L. CHEVRIER, du 113e R.I. : "
Dans
la nuit noire, sans lune, sous la pluie, nous descendons les pentes du
ravin de la Fausse-Côte. Tout à coup, un hurlement terrible
et sinistre ; instinctivement, nous nous couchons ; aussitôt après,
nous sommes environnés de feu, un fracas épouvantables,
des sifflements aigus, tout vole autour de nous.
Une odeur terrible se fait sentir ; il faut continuer notre chemin vers
l'avant ; c'est à peine si nous avons la force de nous relever
; cette odeur nouséabonde nous donne envie de vomir.
Ce n'est qu'au matin brumeux, que cherchant de nos observatoires, à
mi-pente du ravin, le chemin par où nous sommes venus sur cette
mer de boue sans nom, nous nous rendons compte que, surpris par une rafale,
nous nous sommes couchés au milieu d'un grand cimetière
allemand. Les obus sont venu sortir les cadavres de leurs tombes pour
les déchiqueter, les projeter en l'air, puis les rejeter à
nouveau, avec la glaise immonde, sur nos capotes détrempées
par la pluie."
Le
28, le général Mangin relance l'offensive sur le fort de
Vaux et commence par relever les divisions qui ont attaqué le 24,
épuisées par 4 jours de combats. Une nouvelle préparation
d'artillerie est engagée sur Vaux et ses alentours.
Au 31 octobre, le front français
est composé de la façon suivante :
- la 7e D.I. (102e, 103e, 104e et 315e R.I.) est en ligne du bois d'Haudraumont
au village de Douaumont ;
- la 37e D.I. (2e et 3e Zouaves, 2e et 3e Tirailleurs) est en ligne du
village de Douaumont à la Tourelle est, en avant du fort ;
- la 9e D.I. (66e B.C.P., 4e, 82e, 113e et 313e R.I.) est de la Tourelle
est du fort de Douaumont à l'étang de Vaux ;
- la 63e D.I. (216e, 238e, 292e, 298e, 305e et 321e R.I.) se trouve dans
le secteur de Vaux ;
- la 22e D.I. (19e, 62e, 116e, 188e R.I.) monte en ligne pour renforcer
la 63e dans le secteur de Vaux.
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1er novembre - Evacuation
du fort de Vaux par l'armée allemande
La préparation d'artillerie
française débutée la veille, s'intensifie toute la
journée.
Mise en place d'un canon de 105
mm
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2 novembre
- Préparation d'artillerie française sur
le fort de Vaux
Dans la nuit, les Allemands évacuent le fort de Vaux. Ils sont
tout a fait conscient que les Français entament la reprise de l'offensive
débutée le 24 octobre. Se rendant compte que le fort est
intenable, en raison du pilonnage par gros calibres qui a repris, ils
se résignent à leur défaite.
Vers 17 h, une conversation
allemande par radio est interceptée par les Français. Elle
révéle l'évacuation du fort de Vaux.
Une compagnie du 118e R.I. et une du 298e R.I. sont chargées d'aller
vérifier l'exactitude de l'information. Le 118e doit aborder le
fort par les faces ouest et est alors que le 298e doit approcher par la
face sud. La mission doit s'exécuter dans la nuit. Elle débute
le 3 novembre vers 1 h.
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3 novembre - Reconquête
du fort de Vaux.
Témoignage du sergent abbé CHEYLAN, du 118e R.I. : "
Vers
1 heure du matin, notre commandant de compagnie, le capitaine Fouache
(3e compagnie du 118e R.I.) vient nous trouver et nous désigne,
l'adjudant Lelé et moi (sergent Cheylan), pour aller reconnaître
le fort :
- Prenez 10 hommes, nous dit-il, et parter en patrouille, l'adjudent Lelé
face à la corne ouest, le sergent Cheylan, face à la corne
est. Comme consigne : faire beaucoup de bruit pour qu'on vous tire dessus,
si le fort est encore occupé.
Les hommes acceptent la mission sans enthousiasme. Cepandant, ils suivent.
Je marche en tête avec deux volontaires. Nous approchons de la masse
énorme. Des trous d'obus formidables nous engloutissent tous les
dix.
Voici le fossé ; on hésite à y descendre. Partout
le silence. Enfin, nous nous laissons glisser le long de la pente et nous
nous rencontrons avec la patrouille du 298e qui devait reconnaître
la face sud du fort.
Je découvre à droite de la porte d'entrée à
la gorge du fort, un éboulement qui permet au capitaine Fouache,
au lieutenant Mathelier et à une dizaine d'hommes du 118e d'escalader
le fort. Ils parcourent la superstructure, notamment vers la tourelle
de 75, sans trouver d'issue. Le lieutenant Mathelier trouve près
de la porte de la gorge un trou bouché par des sacs de terre ;
ce trou est ouvert à coup de pioche.
J'y pénètre en rampant à la suite du lieutanant Dio
(298e). Une fumée âcre et une odeur pestilentielle nous prennent
à la gorge. Nous inspectons l'intérieur et nous ne découvrons
que les traces de la fuite précipitée de l'ennemi : armes,
munitions, eau minérale, etc...
Il est environ 2 h 30. Après le fort de Douaumont, le fort de Vaux
est à son tour définitivement délivré. "
Le fort de Vaux reconquis (la
superstructure)
Dans la journée, des
éléments du 82e R.I. en ligne vers l'étang de Vaux,
se portent en avant. Ils parviennent à atteindre à gauche,
la tranchée de Ralisbonne, et à droite, le village de Vaux.
La partie est du villaget repris ainsi que le village de Damloup.
A 21 h 30, le 62e R.I. se place sur les
positions du 299e R.I. qu'il relève (à l'est du fort de
Vaux reconquis).
Front au 3 novembre 1916
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4 novembre
Le nouveau front français domine à présent les positions
allemandes.
En 10 jours seulement, les Allemands ont perdu le terrain qu'ils ont mis
plus de six mois à conquérir, et qui leur à coûté
tant de vie.
Dans les autres secteurs du champs de bataille
de Verdun, les lignes n'ont pas bougé, il n'y a pas eu de victoires.
Les hommes qui n'ont pas pris part aux événements des 24
octobre et 3 novembre, n'ont perçu que de manière très
estompé l'élan d'espoir qui vient d'animer la France entière.
Leur quotidien n'a pas changée, leurs souffrances et leurs misères
sont les mêmes.
Témoignage de Robert TERREAU, caporal au 203e R.I., en ligne au
Mort-Homme fin octobre : "
Je me suis attardé cette nuit au P.C. du capitaine à qui
j'ai porté des renseignements.
Je jour est venu et il me faut rejoindre ma section en première
ligne. Le boyau a été comblé par le bombardement
et je n'ai d'autre ressource que de me glisser de trous d'obus en trous
d'obus.
J'ai une centaine de mètres à parcourir. La tranchée
allemande de Feuillères domine légèrement la nôtre
sur la gauche.
D'abord, tout va bien et j'ai déjà franchi la moitié
du parcours. Au moment où je vais sortir d'un entonnoir, une balle
claque et soulève un peu de terre près de moi. Un guetteur
ennemi m'a vu. Je reste au fond de mon trou pendant quelques secondes,
puis je me précipite d'un bond vers un autre entonnoir. Deux coups
de feu sont partis du poste sans m'atteindre.
Je me suis jeté à plat ventre. Ma main s'est accrochée
dans un barbelé et saigne. Je n'ose plus faire un mouvement. Je
suis devenu le gibier que guette le chasseur.
Je reste un long moment immobile, pesant ainsi lasser mon adversaire.
Puis je m'écarte dans une autre direction pour tromper le tireur.
Il tire tout de même mais me manque encore.
Je suis essoufflé et je me colle au sol. Une odeur épouvantable
m'assaille aussitôt. Je suis blotti contre une forme humaine à
moitié enfouie dans la boue. Le drap de la vareuse a pris la couleur
de la terre et seuls quelques détails de l'équipement m'indiquent
que c'est un cadavre allemand. Je rampe pour éviter l'affreux contact,
mais partout la terre est jonchée de débris horribles. Je
passe près d'un cadavre français dont les mains crispées,
noires, décharnées, se dressent vers le ciel comme si le
mort implorait encore la pitié divine.
Aussi
loin que mon regard peut porter, le sol est couvert de cadavres, amis
ou ennemis, restés figés dans les poses les plus invraisemblables.
Le sommet du Mort-Homme ressemble par endroits à un dépôt
d'ordures où s'amoncellent des lambeaux de vêtements, des
armes mutilées, des casques déchiquetés, des vivres
qui pourrissent, des os blanchissants, des chairs putréfiées.
Enfin, je saute dans notre tranchées. Mes mains, ma capote, tout
sent le cadavre, mais mon optimiste reprend le dessus.
L'odeur de mort nous est devenue si familières dans ce secteur
de Verdun, qu'elle ne m'empêche pas de manger avec mes mains souillées
un croûton de pain que réclame mon estomac affamé.
Habillement endiguée par l'ennemi et dirigée vers nos lignes,
l'eau à envahi bientôt notre tranchée. Grossi par
les pluies, le fleuve s'insinue entre nos remparts de terre et mine nos
parapets qui s'effondrent.. la tranchée n'est plus maintenant qu'une
mare de boue d'où monte une odeur intolérable.
On se réfugie sur les rares banquettes qui tiennent encore. Les
caisses de grenades constituent des perchoirs sur lesquels on s'agrippe
et où l'on cherche à grouper les couvertures, les musette,
les grenades et les armes.
Toute tête qui dépasse le parapet est une cible pour le guetteur
d'en face. Il faut reste accroupi sur son socle pour ne pas s'enfoncer
dans la boue jusqu'au ventre ou rester enlisé.
Au bout de quelques heures, cette position cause une souffrance atroce.
Il est impossible de communiquer entre nous pendant le jour. Tout objet
qui échappe des mains est irrémédiablement perdu
dans la boue liquide. Le moral est plus bas que je ne l'ai jamais vu devant
de telles misères physiques. La pluie tombe sans arrêt et
traverse nos vêtements. Le froid nous pénètre, les
poux nous sucent ; tout le corps est brisé.
La pluie et la boue décomposent les cadavres d'où s'exalte
une odeur écurante. Nous ne mangeons plus. Je vois des hommes
de 40 ans pleurer comme des enfants. Certains voudraient mourir.
Les grenades, les cartouches, les fusées sont noyées. La
boue pénètres dans les canons et le mécanisme des
fusils, les rendant hors d'usage. Nous serions incapable de résister
à une attaque allemande.
Seule la nuit nous permet de quitter une position que nous avons dû
garder pendant douze heures. "
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