Dans les forts et les abris...
Journée du 14 mars 1916, attaque
allemande sur les deux rives. Témoignage de Henri PICHENET, caporal
au 149e R.I. :
"
14 Mars. Nous recueillons, à la lueur d'un briquet et à
l'aide de cartes postales, l'eau qui suinte des parois ; celui d'entre
nous qui parvient à remplir son quart est un privilégié.
"
Témoignage de François
MAURIS, soldat au 403e R.I. :
"
Cela fait deux nuits que nous dormons dans cet abri creusé dans
le terre. Les poux nous dévorent ; ils se reproduisent avec une
fécondité effrayante ; nés le matin, le soir ils
sont grands-pères. "
Journée du 21 mai 1916, lutte pour
le ravin de la Dame. Témoignage de Ch. CAUTAIN, soldat au 95e R.I.
:
"
On ne peut donner un coup de pioche sans frapper un crâne, une jambe,
un bras ou un corps. C'est un véritable cimetière bouleversé.
Nos abris (d'anciens abris boches) très profonds et à deux
entrées, sont remplis de poux, de gros totos noirs qui nous dévorent.
Ils fourmillent. Jamais je n'en ai tant vu, ni de si voraces
Nous
nous grattons jusqu'au sang, la nuit, le jour, sans arrêt. "
Témoignage du général
ROUQUEROL du 16e D.I. :
"
Le Tunnel de Tavannes, fortement enfoncé sous une colline, offrait
contre les obus, sinon contre les accidents, une protection sûre.
Mais de quelles terribles épreuves il fallait payer cette sécurité
!
Ci-dessous, quelques strophes du long lamento :
" Février-juillet 1916. Le tunnel de Tavannes avec sa longueur
de 1400 mètres, passe exactement sous le fort du même nom.
Il y avait dans ce tunnel un état-major de brigade, des dépôts
de munitions et de matériel, les éléments des services
les plus divers, un bataillon de réserve entier. L'éclairage
électrique avait été organisé avec un moteur
à essence. Toutefois, on avait eu tort, dans ce travail hâtif,
d 'établir des câbles à haute tension nus à
proximité immédiate des installations pour les hommes. Plusieurs
cas mortels d'électrocution firent apporter les modifications nécessaires
à la distribution du courant. L'éclairage n'existait d'ailleurs
que sur la partie du tunnel utilisée comme logements ou dépôts
; le reste était obscur. Un puits d'aérage avait été
fermé par des toiles pour parer à la pénétration
éventuelle des gaz de combat.
L'organisation du tunnel comportait des rigoles d'écoulement pour
les eaux de condensation et d'infiltration qui n'étaient pas négligeables
; mais, sans souci de la nécessité de prévoir l'assèchement
du tunnel, le personnel chargé de cette organisation avait comblé
toutes les rigoles. Le résultat ne s'était pas fait attendre
et de longues portions du tunnel étaient bientôt transformées
en un marécage d'une boue fétide. La plupart des immondices
des occupants y étaient jetées. On y aurait trouvé
même des cadavres.
Tant de causes d'infection, jointes à la suppression de l'aérage
par le puits construit à cet effet, ne pouvaient manquer d'entretenir
dans le tunnel des émanations malsaines qui ont donné lieu
à plusieurs cas d'une jaunisse spéciale au nom suggestif
de jaunisse des vidangeurs.
Le commandant d'une division occupant le secteur de Tavannes au mois de
juillet voulut faire nettoyer ces écuries d'Augias. Il dut y renoncer
sur l'observation du service de santé d'après laquelle l'agitation
de la boue et des eaux polluées causait immanquablement de nombreuses
maladies. Il fallut se contenter de répandre dans les endroits
les plus malpropres de la chaux vive. "
Journée du 15 juillet 1916, contre
offensive française pour reprendre Souville et Fleury. Témoignage
du soldat Louis HOURTICQ :
"
15 juillet 1916. C'est une étrange chose que ce tunnel qui passe
sous les lignes jusqu'en plein champ de bataille. Entre deux paquets de
fer et de feu, des formes bondissent dans le tunnel, surgies de l'éruption,
pauvres êtres hagards, haletants, titubants, qu'il faut recueillir
et conduire, dans cette nuit subite.
Tout le jour, toute la nuit surtout, c'est une circulation intense : des
corvées d'eau, de munitions, de vivres ; des troupes qui montent,
d'autres qui descendent, des brancards de blessés qui reviennent
de la bataille, puis sont évacués.
Cette existence souterraine supprime toute distinction entre le
jour et la nuit, ce jeu alterné du sommeil et de la veille qui
rythme notre vie. L'activité, le mouvement, le bruit sont les mêmes,
continus, sans arrêt, sans pause, de midi à minuit, de minuit
à midi.
Sous cette voûte indestructible, trop d'hommes et trop de choses
sont venus chercher un abri : dépôts d'eau, de grenades,
de fusées, de cartouches, d'explosifs ; sous les lampes noires
de mouches, des chirurgiens recousent de la chair déchirée.
Tous les bruits sont dominés par le halètement rapide du
moteur de la machine électrique. Il est comme le battement de fièvre
de cette artère surchauffée. "
Témoignage du docteur Léon
BAROS, aide-major au 217e R.I. :
"
Nous arrivons à l'issue est du tunnel de Tavannes.
La boue s'étale gluante, des milliards de mouches volent en tous
sens et tapissent les parois du tunnel ; dans tous les coins et sur les
multitudes d'immondices, accumulées partout, grouillent les asticots
et les contorsions de leurs petits corps blancs amènent des nausées
de dégoût ; l'air, chargé de chaleur humide et imprégnée
d'odeur de cadavres, de putréfaction, de sécrétions
acides, de corps en sueur et de fientes humaines, est irrespirable ; les
gorges se contractent en un réflexe nauséeux.
C'est par cette issue est que le tunnel communique avec le champ de bataille,
sous les avalanches nombreuses et imprévues, continues ou espacées,
des tonnes de fer et de feu qui se déversent dans un endroit repéré
exactement, où les projectiles de tous calibres prenant en enfilade
la tranchée du chemin de fer qui précède le tunnel,
sont posés presque comme avec la main, tellement le tir est précis
et le lieu exactement repéré.
Et c'est un lieu de passage qu'on ne peut éviter, où défilent
ravitaillent, réserves, agent de liaison, relèves, blessés.
Les Boches le savent bien. Les obus, petits, moyens et gros, éclatent
sans interruption, sur un parcours de 12 à 15 mètres, devant
l'entrée du tunnel, soit à la cadence d'un tir de mitrailleuses
lorsqu'il y a barrage, soit à l'intervalle d'une minute ou d'une
demi-minute ; c'est infernal ! Que de malheureux ont été
anéantis à cet endroit ! "
Journée du 6 juin 1916, bataille
du fort de Vaux. Témoignage du lieutenant BENECH du 321e R.I. :
"
6 juin 1916. Nous arrivons au tunnel. Serons-nous donc condamnés
à vivre là ? Je préfère la lutte à
l'air libre, l'étreinte de la mort en terrain découvert.
Dehors, on risque une balle ; ici, on risque la folie.
Une pile de sacs à terre monte jusqu'à la voûte et
ferme notre refuge. Dehors, c'est l'orage dans la nuit et le martèlement
continu d'obus de tous calibres. Au-dessus de nous, sous la voûte
qui sonne, quelques lampes électriques sales, jettent une clarté
douteuse, et des essaims de mouches dansent une sarabande tout autour.
Engourdies et irritantes, elles assaillent notre épiderme et ne
partent même pas sous la menace d'un revers de main. Les visages
sont moites, l'air tiède est écurant.
Couchés sur le sable boueux, sur le rail, les yeux à la
voûte ou face contre terre, roulés en boule, des hommes hébétés
qui attendent, qui dorment, qui ronflent, qui rêvent, qui ne bougent
même pas lorsqu'un camarade leur écrase un pied.
Par place, un ruissellement s'étend ! de l'eau ou de l'urine ?
Une odeur forte, animale, où percent des relents de salpêtre
et d'éther, de soufre et de chlore, une odeur de déjections
et de cadavres, de sueur et d'humanité sale, prend à la
gorge et soulève le cur. Tout aliment devient impossible
; seule l'eau de café du bidon, tiède, mousseuse, calme
un peu la fièvre qui nous anime. "
Journée du 7 juin 1916, prise du
fort de Vaux par les Allemands. Témoignage du lieutenant Albert
CHEREL :
"
C'est le 7 mars, que le fort de Vaux commença d'être systématiquement
bombardé. Durant 8 heures, sans arrêt, une averse de projectiles
s'abattit sur le fort. Il y en avait de tous les calibres : du 77, du
105, à l'éclatement déchirant ; du 210, du 380, que
les soldats avaient surnommé le "Nord-Sud"à cause
du grondement strident de son sillage dans l'air ; peut-être du
420, car on en trouva un culot près du corps de garde le lendemain.
Ces obus, à certains moments, tombaient à la cadence de
6 par minute. Il nous semblait vivre au milieu d'une effroyable tempête.
"
Journées du 2 au 17 mai 1916, attaque
allemande sur les deux rives. Témoignage de L. LAURENT, caporal
à la 7/51 compagnie de génie :
"
Nous avons vécu au fort de Vaux pendant 15 jours, du 2 au 17 mai.
Huit mille obus tombaient chaque jour sur le fort et ses environs, et
ceci par journée calme. On vivait dans la crasse, barbe de 15 jours,
couverts de poux, au milieu d'une âcre odeur de sang venant de l'infirmerie,
simple casemate où l'on entassait les blessés et où
les morts attendaient qu'on les jette comme l'on pouvait, la nuit, dans
une fosse. On pataugeait dans l'urine aux W.C. où l'ammoniaque
rendait l'air irrespirable. Partout, dans les couloirs, les hommes étaient
entassés, couchant pêle-mêle dans les positions les
plus diverses. Le degré de fatigue de tous était tel, qu'il
suffisait de s'asseoir ou de se coucher quelques secondes pour dormir,
dormir comme jamais nous ne dormirons plus. "
Journée du 6 juin 1916, bataille
du fort de Vaux. Témoignage du lieutenant Albert CHEREL :
"
Le fort de Vaux qui avait été bâti pour contenir une
compagnie, en logeait maintenant 6. La circulation était devenue
difficile. L'air était peu respirable, d'autant plus que, sans
cesse, les obus éclatant près des fenêtres ou des
entrées lançaient dans les couloirs leur fumée ou
la poussière de terre et de pierre qu'ils faisaient jaillir.
La poussière avait un autre inconvénient ; elle augmentait
la soif et la rendait insupportable. "
Journée du 6 juin
1916, bataille du fort de Vaux. Témoignage du médecin auxiliaire
Gaillard
:
"
La seule boisson en usage au fort de Vaux était l'eau de la citerne,
javellisée à trois gouttes par litre, filtrée et
aérée par le médecin du fort et moi.
Distribution : 1er juin, néant ; 2 juin, 1 litre par homme ; 3
juin, ¾ de litre par homme ; 4 juin, néant ; 5 juin, ½
litre par homme ; 6 juin, néant. "
Journée du 21 mai 1916, lutte pour
le ravin de la Dame. Témoignage du téléphoniste ROBICHON,
du 95e R.I. :
"
Notre poste était une caverne creusée dans la paroi de la
butte des Eparges ; il y avait à l'intérieur 50 centimètres
d'eau et de boue. On mettait des planches sur des tréteaux branlants
et on essayait de dormir assis. La terre au-dessus de nous était
remplie de corps en putréfaction et l'eau qui tombait dans ces
cavernes, par gouttes pressées, était nauséabonde.
Quand les obus tombaient dans le ravin, on voyait monter une haute colonne
d'un liquide épais et verdâtre où l'on devinait plus
de chair en décomposition que de terre. Quand nous partions de
là, après huit jours de garde, nous étions maigres
et notre visage avait une teinte blafarde, une teinte cadavérique.
"
Journée du 11 juin
1916, lutte pour de l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage de J. LEFEUVRE,
adjudant au 65e R.I. :
"
Le 11 juin 1916, nous arrivons à la citadelle de Verdun. Le régiment
est littéralement entassé dans des bâtiments dépendant
de la citadelle. Les abords sont d'une saleté repoussante : des
monticules énormes d'immondices dégagent une odeur épouvantable
; les vers grouillent sur ces débris de viande ; on se demande
comment aucune épidémie n'éclate. Triste impression
d'arrivée. "
Témoignage de François FERREC, soldat au 294e R.I. :
"
La citadelle de Verdun est vraiment unique au monde et inviolable ; aucun
obus, quelle que soit sa dimension, ne pouvait ébranler un ouvrage
construit dans une colline, et elle a bien contribué à la
victoire de Verdun.
On y logeait chaque jour une division fraîche ; on y cuisait le
pain du secteur ; on y trouvait le ravitaillement de toute sorte ; pour
la première fois de ma vie, j'y ai mangé du pain militaire
chaud et bon. Les croyants y recevaient la communion avant la mort. "
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