Les services de santé et les blessés…


Témoignage du Docteur Léon BAROS, aide-major au 217e R.I. :

" Les premiers blessés sont apportés et il en arrive de toute part. Tout est occupé jusqu'aux moindres recoins. C'est l'engouffrement par toutes les ouvertures de ces pauvres poilus qui tombent dans nos bras, hébétés, hagards, les yeux figés par l'horreur qu'ils ont vue et les traits contractés par la souffrance surhumaine qu'ils éprouvent.
L'un, entre autres, est dans un état pitoyable de prostration et d'anéantissement. Sentant l'urine et les matières fécales, et dégageant une odeur de cadavre. Ce pauvre diable, blessé par des éclats d'obus qui lui ont broyé la cuisse est resté pendant deux jours à moitié enfoui dans le trou que l'obus meurtrier avait creusé, contre le cadavre d'un de ses camarades, tué à côté de lui.
J'ai vu l'un des soldats couvert d'une telle quantité de poux, que les différentes parties des pansements en étaient envahies jusqu'aux plaies.
C'est une vraie boucherie pleine de sang et de râles. Près d'une bougie, l'aumônier, les mains pleines de sang, n'arrête pas de panser les blessures.
Je dors debout, du moins je somnole, je vis comme un automate. Mon blessé pousse des cris horribles et d'autres encore, hurlent comme des forcenés. Les cris de souffrance nous masquent une canonnade formidable. "

Journée du 24 février 1916, attaque allemande sur les deux rives. Témoignage de D. SCHLATTER, soldat au 60e R.I. :

"Le 24 février, les blessés commencent à affluer au poste de secours, en arrière de la cote 344. Quel moral chez ces combattants ! Un sergent, pendant qu'on lui coupait la cuisse, broyée par un éclat, chantait la Marseillaise !… "

Témoignage du Frank ROY, soldat au 266e R.I. :

" Les blessés arrivent en foule à la caserne où tout le bâtiment de gauche est transformé en hôpital. Les majors opèrent sans discontinuer. Et, le croirait-on, les bras, les jambes, les mains, amputés, gisent pêle-mêle… comme un tas d'ordures devant la façade de la caserne. "

Témoignage de C. CORNEVIN, soldat au 160e R.I. :

" Un détachement du génie est près de nous, sur la côte du Poivre, mais plus exposé que nous. Nous tremblons pour lui. De fait, quand, après le bombardement quotidien, nous sortons de dessous nos branchages, nous voyons tous ces malheureux étendus, immobiles. Pas un à secourir…
La nuit, cependant, un blessé se révèle parmi tous ces morts. Il appelle, il réclame à boire. Nous lui donnons le peu d'eau boueuse que nous trouvons. Nous voulons le transporter au poste de secours, mais le moindre mouvement lui arrache des cris de douleur ; les brancardiers appelés le laisseront là. Rien à faire ! Nous couvrons de couvertures ses jambes brisées, tout son misérable corps, nous relevons sa tête et, la mort dans l'âme, le laissons en proie au délire. Nous revenons apaiser sa soif de temps en temps.
Le lendemain, il nous appelle par nos noms qu'il a entendus. Parfois sa voix déchirante articule ceux des siens, il pleure ; c'est poignant.
Le bombardement commence et l'épargne.
La nuit suivante, il n'est pas encore mort, mais ses appels sont moins fréquents, sa voix bien faible. Au petit jour, il n'est plus. "

 

Témoignage de Ch. CAUTAIN, soldat au 95e R.I. :

" Brochard court dans la tranchée, soutenant de sa main valide son bras à moitié déchiqueté. Le sang coule comme l'eau d'un robinet. Il va, sans un mot, sans une plainte. Aura-t-il la force d'aller au poste de secours ? où est-il d'ailleurs, ce poste de secours ? Personne ne le sait. "

Témoignage de X. :

" Notre poste de secours regorge de blessés. Nous faisons des pansements sans discontinuer et nous disons par signes ce que nous avons à dire : impossible de placer un mot ; on ne peut même pas s'entendre. Je soigne ceux qui sont étendus sur leur brancard, devant le poste de secours devenu beaucoup trop petit pour les recevoir tous. Un malheureux à qui j'essaie de garrotter la fémorale est blessé d'un éclat profond dans la poitrine pendant que je le panse. Un tout jeune caporal m'arrive, tout seul, avec les deux mains arrachées au ras des poignets. Il regarde ses deux moignons rouges et horribles avec des yeux exorbités. Je tâche de trouver un mot qui le console et lui crie : "Que fais-tu dans le civil ? "j'ai alors la réponse navrante qui me serre le cœur et m'empêche de rien ajouter : "Sculpteur", dit-il ! "

Témoignage de R.P. CADET, soldat au 51e D.I. :

" Près de moi, un sergent souffre d'une façon atroce… il a été blessé à la tête et il croit avoir les pieds gelés ; la douleur le fait pleurer. Plus loin, des larmes encore ; un soldat allemand, en délire, appelle sa mère ; il crie, il crie fort, des sanglots se mêlent à ses cris. Il ne se souvient plus que de sa mère ; tout le reste du monde n'existe plus pour lui. "

 

Témoignage de X. :

" Au poste de secours d'Esnes, de grandes plaques rouges marquent les places où les brancards ont été posés avant d'être descendus dans les caves. Le long des murs, les brancards montés sont en permanence, prêts à servir. Les toiles sont noires de sang coagulé, et les hommes qui rôdent dans la cour, affamés, les yeux fous, la barbe longue, ont un air accablé de condamnés à mort. A gauche, sous le hangar, c'est pis encore. Des blessés sont morts en route ou pendant qu'on faisait leur pansement. Alors, on les a mis de côté pour passer aux suivants… Et ils sont là, dans cette sorte de grange, pêle-mêle, éventrés, déchiquetés, horribles, dans des faces au rictus effrayant, dans des positions étranges et raidies, des gestes figés de colère ou de douleur, des expressions de désespoir qui font mal. "

Témoignage de l'aide-major Emile POITEAU :

" Les pansements maculés qu'on jetait à terre et dont on n'avait pas le temps de se débarrasser, avaient fini par s'accumuler sur le sol et faisaient aux pieds comme un épais tapis dans lequel on s'enfonçait jusqu'aux chevilles…
Parmi les grands blessés, parmi ceux qui allaient mourir, les uns demandaient leur mère, comme des enfants qui ont besoin d'être dorlotés, rassurés… D'autres réclamaient à boire éperdument… D'autres, impatients de vivre et se sentant abandonnés par la vie, se lamentaient de rage et de désespoir.
On amène un artilleur affreusement mutilé. Ses plaies sont horribles ; il est exsangue, son visage est blanc comme du marbre. Il a les jambes broyées. Elles ne tiennent plus que par miracle par quelques lambeaux de chairs et de muscles. Il saigne adorablement.
Pendant qu'on lui fait une piqûre de morphine, le médecin examine le dégât…
Les os broyés soutiennent mal les chairs, arrachées. Rigides et dressées de tous côtés, les esquilles tiennent des lambeaux de chair qui pendent lamentablement et sur lesquels sont collés des morceaux d'étoffes, des débris de caleçon et de pantalon…
C'est un broiement, un déchiquetage… Et comme on s'apprête à faire un pansement, comme on remue un peu - oh ! légèrement, avec d'infinies précautions - d'une des jambes meurtries, un caillot se détache et (comme si on avait retiré subitement la bonde d'un tonneau d'arrosage), un énorme jet de sang pisse sur le major…
Le pauvre bougre pousse un Ah ! plaintif et rend le dernier soupir, là, tout d'un coup, sans qu'on ai eu le temps de s'y attendre, de s'en apercevoir presque.
Nouveau brouhaha vers l'entrée.
C'est un blessé, la poitrine percée de balles comme un écumoire, et qui vomit le sang à flots. Pansements, piqûres de morfines et d'éther. On l'emporte.
Alors, avec des yeux effrayant, en passant devant le major :
- Est-ce que j'en reviendrai ? Pensez-vous ?
- Mais bien sûr, mon petit, que tu en reviendras ! On ne meurt par pour avoir crachés du sang !…
C'est assurément un mensonge en ce cas. Mais c'est un aumône aussi…
En entendant ça, le petit blessé fait : Ah ! et son œil lance un éclair de joie : Alors, je les reverrai ?
Et vite, il explique :
- C'est que, voyer-vous, j'ai deux petits enfants… Deux et quatre ans… Et ma femme est morte… Il faut que je vive pour eux !…
Touché jusqu'aux larmes, estimant qu'il devait mentir carrément, le médecin affirme :
- Mais bien sûr, bien sûr, que tu les reverras ! je n'ai jamais vu mourir pour un cas pareil… Ainsi, tu vois que tu peux être tranquille !…
Alors le moribond tend au major sa pauvre main déjà pâle comme la main d'un cadavre. Et, comme on l'emporte vers les autos, le médecin reste là, ému, suivant des yeux le brancard qui s'éloigne.
Un blessé dit :
- C'est triste, hein ! M'sieu l'major ?
Et celui-ci répond en branlant la tête :
- Ah ! c'est que j'en ai deux comme lui, moi aussi…"

Témoignage du caporal René NAEGELEN :

" Le pauvre gars que je portais était plus grand que moi, sautant d'un trou d'obus dans un autre, je sentais les craquements que faisaient ses os dans nos chutes. Il souffrait terriblement, mais le mot d'ordre était : " si tu cries, nous sommes foutus ", le pauvre mordait dans le col de ma capote pour ne pas crier. Les bouts de molletière, la chair, les os ne font plus qu'une bouillie saignante, on lui cache l'affreuse blessure, il est calme et parle d'une voix faible : " je suis salement arrangé ", on lui fait boire un peu d'eau-de-vie, on lui passe une cigarette, d'où il tire quelques bouffés qu'il laisse glisser, indifférent.
Il demeure étendu, contemplant avec stupeur ses membres broyés, les yeux grands ouverts sur l'infini glacé, c'est fini. "

 

Journée du 22 mai 1916, grande offensive française pour reprendre le fort de Douaumont. Témoignage de Alfred SALABELLE, soldat au 74e R.I. :

" Le 22 mai, engagé volontaire à 17 ans, je pars avec le 74e à l'attaque du fort de Douaumont. Bientôt, je suis blessé par un éclat d'obus qui me fracasse la hanche gauche ; je suis mis à l'abri dans un trou d'obus et reste là jusqu'au soir. La soif commence.
Au matin du 23 mai, je suis relevé et porté au ravin de la Caillette. Là, on me remet dans un trou en me disant qu'il y a un poste de secours tout près et que d'autres brancardiers viendront me chercher. Effectivement, dans la matinée du 23, un major vient constater ma blessure et repart en disant qu'il reviendra dans quelques instants faire le pansement. Jamais je ne le reverrai.
Je demeure ainsi pendant trois jours sans manger ni boire. Le troisième jour, on met à mes côtés un deuxième soldat blessé aux jambes de plusieurs balles de mitrailleuses, et un troisième qui meurt aussitôt. Mais aucun secours ne vient. Le quatrième jour, le 26 mai, le bombardement est terrible. L'aumônier Etcheber qui passe par-là, se jette dans le trou pour se garer des éclats. Il se trouve qu'il est du même pays que le blessé aux jambes et ils parlent en patois des Pyrénées. Le pauvre diable se confesse et reçoit l'absolution. Se tournant ensuite vers moi, l'aumônier me demande si je veux son secours. Je ne peux accepter, n'étant pas baptisé. L'aumônier me baptise puis s'en va en me laissant sa gourde.
Ce n'est que le sixième jour, au matin, que deux brancardiers passant par-là, me relèvent et m'évacuent sur Landrecourt. Donc pendant ces six jours, je suis resté sans pansement sans nourriture, avec à peine de quoi boire. Pour calmer ma fièvre, je mettais des sacs vides sur la terre et ensuite m'en couvrais la figure afin de me rafraîchir. "

Mois de mars 1916, attaque allemande sur les deux rives. Témoignage de Julien SANDRIN, sergent au 11e Génie :

" Dans les attaques de Vaux, en mars, j'ai vu un lieutenant de chasseurs qui, le bras gauche broyé par un éclat d'obus, continuait à se battre avec sa main valide. "
" Un mitrailleur a le ventre ouvert; il accourt ici avec ses pauvres mains crispées sur ses intestins qui s'échappent. L'autre m'arrive, la tête bandée de son pansement individuel, soutenu par un camarade. Je le fais asseoir devant moi, sur la petite caisse, mais il a l'air quasi endormi et ne s'aide pas du tout, laissant sa tête brimbaler de droite et de gauche. Je suis pressé et, sentant les autres qui attendent, je lui demande de se mieux prêter au pansement. Mais lui ne cesse de répéter inlassablement : "Oh ! laissez-moi dormir, laissez-moi dormir".
J'enlève la bande qui lui entoure la tête et alors, la chose horrible m'apparaît: toute la moitié de son cerveau, son hémisphère droit tout entier glisse en dehors de son crâne béant et j'éprouve cette sensation terrible de recevoir dans ma main gauche toute la matière cérébrale de ce malheureux qui, la boite crânienne défoncée et vidée en partie de son contenu, continue de me répéter son leitmotiv : "Laissez-moi dormir". Alors je lui dis: "Oui, mon vieux, va, on va te laisser dormir".
Et je vide ma main de son contenu que je remets à sa place, maintenant le tout avec des compresses et une bande... avec quelles précautions et quelle angoisse !... "Va dormir, va, mon vieux". Soutenu sous chaque bras, ce mort vivant fait quelques pas, s'étend dans un coin. Une piqûre de morphine, une couverture et le sommeil, pour toujours. "

Témoignage de Maurice BRASSARD, soldat au 56e B.C.P. :

" L'abri est archi bondé de blessés. L'un d'eux, blessé au crâne, ne peut supporter aucun pansement ; il est dans le coma et enlève ses pansements, au fur et à mesure.
Parfois même, il s'arrache les cheveux et la cervelle et jette cela sur ceux qui l'entourent !… Quel spectacle !… Quand il secoue la tête, sa cervelle jaillit hors de sa boite crânienne. "

Journée du 8 juillet 1916, lutte autour de l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage de Jean LOU DE LAS BORJAS, sergent au 7e R.I. :

" Nous arrivons à la casemate B du fort de Souville. C'est un abri voûté fait en pierre solide et possédant au-dessus une couche de terre de 5 à 6 mètres d'épaisseur. Là, étaient des malheureux gravement blessés, agonisant même et qui, depuis plus de 6 jours, attendaient leur transport à l'ambulance. Ils n'avaient rien à manger et souffraient terriblement de leurs membres hachés. Ils mouraient tous les uns après les autres. C'était pitoyable de voir ces braves et d'entendre leurs supplications, et cependant, nous ne pouvions les secourir, si ce n'est en leur donnant à manger et surtout à boire. "

 

Journée du 5 août 1916, nouvelle attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de Etienne-Justin RAYNAL, sergent mitrailleur au 81e R.I. :

" De nombreux blessés se massent près de la redoute de l'ouvrage de Thiaumont croyant y être plus en sûreté et se font tuer là par les obus. Près d'un blessé qui vient dans notre direction tombe un gros obus. Un cadavre en décomposition est soulevé par l'explosion à plusieurs mètres de hauteur et, en retombant, s'écrase sur le blessé. Le malheureux vient vers nous en courant. Il est tout couvert de débris humains et dégage une odeur insupportable. Nous lui crions d'aller au poste de secours, car nous n'avons rien pour le soigner. Il passe devant nous, en hurlant et s'en va au hasard ; il a sans doute perdu la raison.
Quelques instants après, un jeune approvisionneur de notre compagnie saisit une hache et s'en va dans la direction des Allemands en criant : "Je veux tuer des Boches, il faut que je tue des Boches." Le malheureux avait lui aussi perdu la raison. "

23 juin 1916. Témoignage du canonnier servant FOURMOND, 115e batterie, 44e R.A.C. :

" Je me dois de signaler l'héroïsme d'un soldat du 359e R.I. qui, blessé lui-même, transporta sur son dos, des hauteur de Thiaumont à la route de Verdun à Bras, c'est-à-dire sur un parcours de plusieurs kilomètres, un camarade affreusement mutilé, en traversant des tirs de barrage de pièces lourdes sans jamais s'arrêter. Ils perdaient tellement de sang, l'un et l'autre, qu'on les eut dits vêtus de capotes écarlates ; ils passèrent près de nous et le porteur avait une expression empreinte d'une énergie tellement farouche que son visage en était effrayant. "

 

Journée du 12 juillet 1916, attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de Léon MAX, soldat au 217e R.I. :

" Le 217e attaque à son tour. Après avoir lancé une vingtaine de grenades, je suis blessé grièvement et je m'abats perdant mon sang en abondance. Je n'avais même pas la force de chasser les grosses mouches noires qui se posaient sur moi. Une fièvre de cheval et rien à boire. Deux brancardiers passent près de moi et me disent qu'ils vont envoyer du secours, mais ils sont tués peu après. Les Boches contre-attaquent et me piétinent en passant. De plus un Boche me donne dans le côté un coup de baïonnette qui heureusement n'atteint aucun organe essentiel. La contre-attaque a été repoussée et j'ai pu être relevé. "

Témoignage de Gaston DEINDIS, brancardier 14e D.I. :

" Nous sommes restés 21 jours sans nous laver ; nous avions à peine de quoi manger et encore moins à boire ; nous étions réduits à pisser dans nos mains pour laver la boue et le sang mêlés qui les encroûtaient pour pouvoir faire des pansements… "

Témoignage de Joseph LEBRETON, soldat au 251e R.I. :

" Après une attaque, un sergent du 107e est resté blessé sur le terrain entre les lignes boches et françaises ; un infirmier du 116e est monté sur le terrain trois fois : une première fois pour faire le pansement du blessé, une seconde pour lui porter à boire, une troisième pour aller le chercher avec un volontaire. Les Boches n'ont pas tiré. "

Témoignage de René DOZIERE, maréchal des logis au 60e R.A.C. :

" Nous avons soigné pendant une journée de pauvres fantassins du 418e qui avaient séjourné entre les lignes pendant trois et même quatre jours. Les clous de leurs souliers étaient rouillés, leur pansement, très bien fait, était dur comme de la pierre. Le major leur demandait à tous : " Qui a fait ton pansement ? " et avec une voix très faible, ils répondaient : " C'est un Boche ". "