Les services de santé et les blessés
"
Les premiers blessés sont apportés et il en arrive de toute
part. Tout est occupé jusqu'aux moindres recoins. C'est l'engouffrement
par toutes les ouvertures de ces pauvres poilus qui tombent dans nos bras,
hébétés, hagards, les yeux figés par l'horreur
qu'ils ont vue et les traits contractés par la souffrance surhumaine
qu'ils éprouvent. Journée du 24 février 1916, attaque allemande sur les deux rives. Témoignage de D. SCHLATTER, soldat au 60e R.I. : "Le
24 février, les blessés commencent à affluer au poste
de secours, en arrière de la cote 344. Quel moral chez ces combattants
! Un sergent, pendant qu'on lui coupait la cuisse, broyée par un
éclat, chantait la Marseillaise !
" Témoignage du Frank ROY, soldat au 266e R.I. : "
Les blessés arrivent en foule à la caserne où tout
le bâtiment de gauche est transformé en hôpital. Les
majors opèrent sans discontinuer. Et, le croirait-on, les bras,
les jambes, les mains, amputés, gisent pêle-mêle
comme un tas d'ordures devant la façade de la caserne. " Témoignage de C. CORNEVIN, soldat au 160e R.I. : "
Un détachement du génie est près de nous, sur la
côte du Poivre, mais plus exposé que nous. Nous tremblons
pour lui. De fait, quand, après le bombardement quotidien, nous
sortons de dessous nos branchages, nous voyons tous ces malheureux étendus,
immobiles. Pas un à secourir
Témoignage de Ch. CAUTAIN, soldat au 95e R.I. : "
Brochard court dans la tranchée, soutenant de sa main valide son
bras à moitié déchiqueté. Le sang coule comme
l'eau d'un robinet. Il va, sans un mot, sans une plainte. Aura-t-il la
force d'aller au poste de secours ? où est-il d'ailleurs, ce poste
de secours ? Personne ne le sait. " Témoignage de X. : " Notre poste de secours regorge de blessés. Nous faisons des pansements sans discontinuer et nous disons par signes ce que nous avons à dire : impossible de placer un mot ; on ne peut même pas s'entendre. Je soigne ceux qui sont étendus sur leur brancard, devant le poste de secours devenu beaucoup trop petit pour les recevoir tous. Un malheureux à qui j'essaie de garrotter la fémorale est blessé d'un éclat profond dans la poitrine pendant que je le panse. Un tout jeune caporal m'arrive, tout seul, avec les deux mains arrachées au ras des poignets. Il regarde ses deux moignons rouges et horribles avec des yeux exorbités. Je tâche de trouver un mot qui le console et lui crie : "Que fais-tu dans le civil ? "j'ai alors la réponse navrante qui me serre le cur et m'empêche de rien ajouter : "Sculpteur", dit-il ! " Témoignage de R.P. CADET, soldat au 51e D.I. : " Près de moi, un sergent souffre d'une façon atroce il a été blessé à la tête et il croit avoir les pieds gelés ; la douleur le fait pleurer. Plus loin, des larmes encore ; un soldat allemand, en délire, appelle sa mère ; il crie, il crie fort, des sanglots se mêlent à ses cris. Il ne se souvient plus que de sa mère ; tout le reste du monde n'existe plus pour lui. "
Témoignage de X. : " Au poste de secours d'Esnes, de grandes plaques rouges marquent les places où les brancards ont été posés avant d'être descendus dans les caves. Le long des murs, les brancards montés sont en permanence, prêts à servir. Les toiles sont noires de sang coagulé, et les hommes qui rôdent dans la cour, affamés, les yeux fous, la barbe longue, ont un air accablé de condamnés à mort. A gauche, sous le hangar, c'est pis encore. Des blessés sont morts en route ou pendant qu'on faisait leur pansement. Alors, on les a mis de côté pour passer aux suivants Et ils sont là, dans cette sorte de grange, pêle-mêle, éventrés, déchiquetés, horribles, dans des faces au rictus effrayant, dans des positions étranges et raidies, des gestes figés de colère ou de douleur, des expressions de désespoir qui font mal. " Témoignage de l'aide-major Emile POITEAU : "
Les pansements maculés qu'on jetait à terre et dont on n'avait
pas le temps de se débarrasser, avaient fini par s'accumuler sur
le sol et faisaient aux pieds comme un épais tapis dans lequel
on s'enfonçait jusqu'aux chevilles
Témoignage du caporal René NAEGELEN : "
Le pauvre gars que je portais était plus grand que moi, sautant
d'un trou d'obus dans un autre, je sentais les craquements que faisaient
ses os dans nos chutes. Il souffrait terriblement, mais le mot d'ordre
était : " si tu cries, nous sommes foutus ", le pauvre
mordait dans le col de ma capote pour ne pas crier. Les bouts de molletière,
la chair, les os ne font plus qu'une bouillie saignante, on lui cache
l'affreuse blessure, il est calme et parle d'une voix faible : "
je suis salement arrangé ", on lui fait boire un peu d'eau-de-vie,
on lui passe une cigarette, d'où il tire quelques bouffés
qu'il laisse glisser, indifférent.
Journée du 22 mai 1916, grande offensive française pour reprendre le fort de Douaumont. Témoignage de Alfred SALABELLE, soldat au 74e R.I. : "
Le 22 mai, engagé volontaire à 17 ans, je pars avec le 74e
à l'attaque du fort de Douaumont. Bientôt, je suis blessé
par un éclat d'obus qui me fracasse la hanche gauche ; je suis
mis à l'abri dans un trou d'obus et reste là jusqu'au soir.
La soif commence. Mois de mars 1916, attaque allemande sur les deux rives. Témoignage de Julien SANDRIN, sergent au 11e Génie : "
Dans les attaques de Vaux, en mars, j'ai vu un lieutenant de chasseurs
qui, le bras gauche broyé par un éclat d'obus, continuait
à se battre avec sa main valide. " Témoignage de Maurice BRASSARD, soldat au 56e B.C.P. : "
L'abri est archi bondé de blessés. L'un d'eux, blessé
au crâne, ne peut supporter aucun pansement ; il est dans le coma
et enlève ses pansements, au fur et à mesure. Journée du 8 juillet 1916, lutte autour de l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage de Jean LOU DE LAS BORJAS, sergent au 7e R.I. : " Nous arrivons à la casemate B du fort de Souville. C'est un abri voûté fait en pierre solide et possédant au-dessus une couche de terre de 5 à 6 mètres d'épaisseur. Là, étaient des malheureux gravement blessés, agonisant même et qui, depuis plus de 6 jours, attendaient leur transport à l'ambulance. Ils n'avaient rien à manger et souffraient terriblement de leurs membres hachés. Ils mouraient tous les uns après les autres. C'était pitoyable de voir ces braves et d'entendre leurs supplications, et cependant, nous ne pouvions les secourir, si ce n'est en leur donnant à manger et surtout à boire. "
Journée du 5 août 1916, nouvelle attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de Etienne-Justin RAYNAL, sergent mitrailleur au 81e R.I. : "
De nombreux blessés se massent près de la redoute de l'ouvrage
de Thiaumont croyant y être plus en sûreté et se font
tuer là par les obus. Près d'un blessé qui vient
dans notre direction tombe un gros obus. Un cadavre en décomposition
est soulevé par l'explosion à plusieurs mètres de
hauteur et, en retombant, s'écrase sur le blessé. Le malheureux
vient vers nous en courant. Il est tout couvert de débris humains
et dégage une odeur insupportable. Nous lui crions d'aller au poste
de secours, car nous n'avons rien pour le soigner. Il passe devant nous,
en hurlant et s'en va au hasard ; il a sans doute perdu la raison. 23 juin 1916. Témoignage du canonnier servant FOURMOND, 115e batterie, 44e R.A.C. : " Je me dois de signaler l'héroïsme d'un soldat du 359e R.I. qui, blessé lui-même, transporta sur son dos, des hauteur de Thiaumont à la route de Verdun à Bras, c'est-à-dire sur un parcours de plusieurs kilomètres, un camarade affreusement mutilé, en traversant des tirs de barrage de pièces lourdes sans jamais s'arrêter. Ils perdaient tellement de sang, l'un et l'autre, qu'on les eut dits vêtus de capotes écarlates ; ils passèrent près de nous et le porteur avait une expression empreinte d'une énergie tellement farouche que son visage en était effrayant. "
Journée du 12 juillet 1916, attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de Léon MAX, soldat au 217e R.I. : "
Le 217e attaque à son tour. Après avoir lancé une
vingtaine de grenades, je suis blessé grièvement et je m'abats
perdant mon sang en abondance. Je n'avais même pas la force de chasser
les grosses mouches noires qui se posaient sur moi. Une fièvre
de cheval et rien à boire. Deux brancardiers passent près
de moi et me disent qu'ils vont envoyer du secours, mais ils sont tués
peu après. Les Boches contre-attaquent et me piétinent en
passant. De plus un Boche me donne dans le côté un coup de
baïonnette qui heureusement n'atteint aucun organe essentiel. La
contre-attaque a été repoussée et j'ai pu être
relevé. " Témoignage de Gaston DEINDIS, brancardier 14e D.I. : "
Nous sommes restés 21 jours sans nous laver ; nous avions à
peine de quoi manger et encore moins à boire ; nous étions
réduits à pisser dans nos mains pour laver la boue et le
sang mêlés qui les encroûtaient pour pouvoir faire
des pansements
" Témoignage de Joseph LEBRETON, soldat au 251e R.I. : " Après une attaque, un sergent du 107e est resté blessé sur le terrain entre les lignes boches et françaises ; un infirmier du 116e est monté sur le terrain trois fois : une première fois pour faire le pansement du blessé, une seconde pour lui porter à boire, une troisième pour aller le chercher avec un volontaire. Les Boches n'ont pas tiré. " Témoignage de René DOZIERE, maréchal des logis au 60e R.A.C. : " Nous avons soigné pendant une journée de pauvres fantassins du 418e qui avaient séjourné entre les lignes pendant trois et même quatre jours. Les clous de leurs souliers étaient rouillés, leur pansement, très bien fait, était dur comme de la pierre. Le major leur demandait à tous : " Qui a fait ton pansement ? " et avec une voix très faible, ils répondaient : " C'est un Boche ". "
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