Les faits militaires
Témoignage du commandant P. :
"
Pour le G.Q.G., l'attaque de Verdun par les Allemands avait le tort considérable
de constituer un obstacle à la préparation de notre propre
attaque sur la Somme : - Comment pouvons-nous songer à faire la
Somme, si nous usons toutes nos divisions à Verdun. C'est la somme
qui dégagera Verdun, disait le G.Q.G.. A quoi ripostait le IIe
Armée : - Il est surtout pressant d'empêcher Verdun de tomber.
A quoi bon faire la Somme si vous avez perdu Verdun ? "
Journée du 11 juillet
1916, attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage du
commandant P
:
"
Souville n'a jamais été démoli ; j'y suis allé
en août 1916, et il subsistait encore au milieu des ruines des parties
fort utilisables. Si l'on y avait travaillé depuis la fin de février,
que n'aurait-on fait de ces quatre mois de presque complète tranquillité
intérieure ? Combien de tonnes de béton auraient pu en renforcer
les points utiles ?
La vérité est que l'on n'a jamais cru que les Boches pourraient
venir à Souville. Toujours la même chose : le haut commandement
n'a pu croire à la bataille de Verdun. Et l'on s'est trouvé
en juillet dans le même désordre, dans la même prévoyance
; on est surpris par l'avance des Boches sur Souville, comme en février
on l'a été de la ruée sur Verdun. Après ces
quatre mois de combat, sans exemple encore dans cette guerre, on pousse
au feu des unités au fur et à mesure de leur arrivée
dans le secteur de l'armée. C'est une succession de "pains
à cacheter" collés comme on peut et où l'on
peut. "
Mois de mars 1916, attaque
allemande sur les deux rives. Témoignage du commandant P
:
"
Comment peut-on dire qu'au six mars, l'équilibre des forces adverses
en infanterie et en artillerie de campagne, sinon en artillerie lourde,
est réalisé ? On savait à la 2e Armée que
les effectifs allemands accumulés sur le front étaient formidables,
mais, fidèle à la tactique qu'il dut instaurer pour cacher
ses lourdes responsabilités, le G.Q.G. a toujours "nié
Verdun". Si l'on avouait toute l'importance de l'attaque allemande
sur Verdun, on devait, en toute justice, accepter aussi que ce n'était
pas le général Herr qui devait être poursuivi. Il
était beaucoup plus facile de déclarer que Verdun était
une attaque comme les autres ; toutes les fois où un officier de
l'état-major de la 2e Armée allait en liaison au G.Q.G.,
il trouvait au 3e bureau des petits rires goguenards "Ah ! tu vas
encore essayer de nous faire croire à Verdun."
Un grand nombre de divisions allemandes en ligne à Verdun n'ont
pu être identifiées au début de mars par "les
moyens habituels" de renseignement, en bon français l'espionnage.
Restaient les interrogatoires de prisonniers. Or, combien de prisonniers
allemands avions-nous fait au 5 mars ? Et que savait un homme en première
ligne, sur les troupes qui étaient derrière lui ?
"
Mois de mai 1916. Témoignage
du commandant P
:
"
Le 28 mai, dans une lettre au général Joffre, le général
Pétain signale que "la lutte d'artillerie devant Verdun devient
chaque jour plus difficile."
Il ajoute : "A supposer même qu'il y ait égalité
entre le nombre des pièces françaises et le nombre des pièces
ennemies, il n'en subsiste pas moins une sensible disproportion des moyens,
due à la plus grande rapidité du tir et à la supériorité
de calibre et de portée de ces dernières."
Au 1er juin, l'artillerie de l'armée de Verdun comprend au total
: 1 777 bouches à feu, dont 1 184 pièces d'artillerie de
campagne (1 073 pièces de 78, 8 de 65M, 26 de 80, 77 de 90), 174
d'artillerie lourde courte, 400 d'artillerie lourde longue, 19 d'artillerie
à grande puissance.
Quant à l'artillerie allemande, elle est évaluée
à un total de 2 200 pièces, dont 1 730 lourdes et 470 de
petit calibre.
Comme on le voit, la disproportion entre les deux artilleries est encore,
après plus de trois mois, très forte. Le moment n'est pas
venu encore où les poitrines françaises cesseront de lutter
contre les obus. "
Mois de mai 1916, grande offensive française
pour reprendre le fort de Douaumont. Témoignage du commandant P
:
"
Lorsque, pour la première fois, des études ont commencé
pour mettre sur pied la reprise du fort de Douaumont, les projets ont
envisagé la nécessité de disposer en ligne 4 divisions,
mais le G.Q.G. y mit bon ordre : "Et pour la Somme, qu'est-ce qu'il
resterait si l'on employait encore tant de monde pour cet objectif local
?" Les études furent reprises avec 2 divisions accolées,
une 3e pour les relever après le succès.
"Impossible", dit encore le G.Q.G. Il fallut se rabattre sur
une division en 1er ligne, et une 2e en arrière. "La peau
de chagrin !", se lamentait le général Mangin désigné
pour mener l'attaque avec sa division. Il aurait fallu déjà
une division de travailleurs pour creuser les boyaux nécessaires
et les parallèles de départ ! "
Témoignage du commandant
P
:
"
Pour réussir une attaque, il ne suffit pas de la préparer
par l'artillerie et de la fournir d'exécutants en nombre suffisant,
il faut encore que ces exécutants aient des cheminements assez
faciles pour qu'ils n'arrivent pas exténués à leur
base de départ.
Quand une attaque ne peut ajouter cette dernière condition aux
deux précédentes, elle est vouée à l'insuccès.
Allons même plus loin. On a vu des attaques réussir sans
préparation d'artillerie, l'effet de surprise ayant remplacé
l'action des obus ; on en a vu réussir avec des effectifs nettement
inférieurs aux effectifs de l'adversaire, lorsque les assaillants
étaient résolus à vaincre et résignés
à mourir ; mais on n'a jamais vu réussir une attaque menée
par des hommes exténués car, privés de leur force
et de leur énergie, ceux-ci arrivaient devant leurs adversaires
non comme des adversaires, mais comme des proies."
Témoignage du commandant P. :
"
Pour qui se plonge dans l'étude de la bataille de Verdun, c'est
un émerveillement perpétuel que ce constant et rapide équilibre
de nos moyens et de nos besoins. Nous perdons beaucoup d'hommes parce
que le matériel nous fait défaut, mais c'est en vain que
l'adversaire s'efforce de nous réduire et par l'avalanche de ses
obus et par ses attaques à la perfection mathématique :
plus la poussée est puissante, et plus la résistance devient
flexible et tenace. "
Témoignage du commandant P
:
"
Un prélat, qui, pendant la guerre, occupait à Lille des
fonctions de premier plan, nous a rapporté ces paroles que lui
avait dites, aux premières semaines de l'occupation, un officier
allemand d'origine lorraine : "Vous serez battus, vous ne pouvez
pas ne pas l'être. Vous ignorez la force réelle de l'Allemagne.
Tout est truqué chez elle, même ses statistiques démographiques.
Pour connaître le chiffre exact de sa population, il faudrait ajouter
aux 65 millions d'habitants, officiellement annoncés, beaucoup
d'autres millions."
Il est, en tout cas, un fait dont tous les combattants de Verdun peuvent
témoigner : C'est que, pendant l'année 1916 presque entière,
les forces allemandes ont été plus nombreuses, beaucoup
plus nombreuses que les nôtres. Pour le savoir, nous n'avons pas
besoin de documents officiels, il nous suffit de nous rappeler les masses
qui s'opposaient à nous, non seulement pendant les attaques allemandes
pour lesquelles les Allemands avaient évidemment concentré
les forces nécessaires, mais également pendant nos attaques
à nous, alors que la surprise jouait en notre faveur. "
Témoignage du commandant P
:
"
Le service de renseignements des Allemands s'est révélé
presque toujours supérieur au nôtre. Nos initiatives les
ont bien rarement surpris. Il est même arrivé, et fort souvent,
que les soldats d'un secteur français, désignés pour
un assaut et non avisés encore par leurs chefs, lisaient cette
nouvelle sur les pancartes ironiques dressées au milieu du no man's
land par les Allemands d'en face. "
Journée du 1er mars 1916, prise
du village de Douaumont par les Allemands. Témoignage du commandant
P
:
"
Le 1er mars 1916, "journée calme" disent les relations
officielles. Cela signifie qu'il n'y a pas eu d'attaques de grande envergure,
simplement des escarmouches ; ni de bombardement général,
simplement des "arrosages" locaux et alternés.
Tant que durera la bataille de Verdun, aucune journée ne sera calme
; les meilleures journées de Verdun pourront être comparées,
sinon aux pires des autres secteurs, du moins aux très mauvaises."
Témoignage du commandant P
:
"
Très souvent, les Allemands ont abandonné, d'eux-mêmes,
des positions conquises par eux ; ils avaient les prisonniers et les renseignements
qu'ils désiraient, ils s'en allaient sans regret d'une position
mal placée, dont la défense leur eût imposé
des pertes inutiles.
Il semble que de notre côté, trop souvent, nous n'ayons pas
montré la même largeur de vues, la même intelligence.
Tout terrain conquis devenait sacré, toute position ancienne, même
indéfendable par suite d'une avance de l'ennemi, devait être
conservée coûte que coûte. C'est, croyons-nous, le
maréchal Pétain qui, le premier chez nous, a rompu avec
ces funestes errements. Mais il n'a pas toujours été compris,
du moins aussi vite qu'il eût été désirable,
par ses subordonnés."
Mois de mars 1916, attaque allemande sur
les deux rives. Témoignage du commandant P
:
"
Au début de la bataille de Verdun, un grand nombre de tranchées
françaises n'étaient constituées que par de simples
boyaux avec des banquettes de tir à peine ébauchées.
Les boyaux de dégagement vers l'arrière étaient rares
et peu profonds. Rares également les abris et sans aucun confort
; l'eau y suintait de partout et formait au sol des flaques ; pas de bancs
pour s'asseoir ; pas même un clou pour accrocher musettes et bidons.
Un correspondant note que, dans son abri au Mort-Homme, il n'y avait pas
de fusées éclairantes, douze fusées de couleur étaient
sans baguette et sur huit qui restaient, quatre n'avaient pas d'amorce.
Une fois encore, l'imprévoyance d'en haut, l'insouciance d'en bas,
allaient nous coûter cher.
Une comparaison peut être faite, dés maintenant, entre les
deux méthodes, l'allemande et la française. Un fantassin
français, fait prisonnier au début de mars, est conduit
dans les tranchées allemandes du bois de Forges : "Quelles
tranchées !"écrit-il. Le sol, large d'un mètre,
est dallé ; les murs sont en pierre avec des joints cimentés
; ils ont trois mètres de haut avec un chemin de ronde à
1 m 50 ; tout dans le fond, des abris
"
Mois de mai 1916, grande offensive française
pour reprendre le fort de Douaumont. Témoignage du commandant P
:
"
Mangin savait qu'on ne pourrait s'emparer du fort de Douaumont tant que
le fort demeurerait intact et il voulait que le fort fût anéanti.
Il n'en a rien été. Il semble bien d'ailleurs qu'il avait
été trompé sur les effets de notre artillerie.
Le 21 mai, le colonel Estienne qui se trouvait à Bévaux
avait dit à l'un des officiers du général Mangin,
le lieutenant Brunet : "Allez dire à votre général
que le fort de Douaumont n'est plus qu'une écumoire ! "
Pétain remarque dans sa "Bataille de Verdun" que nos
tirs de destruction de cinq jours n'avaient pas réussi à
dominer nettement l'adversaire, que le temps manquait pour aménager
suffisamment les 12 kilomètres de tranchées et de boyaux
et qu'il fallait recommencer chaque nuit ce travail de Pénélope
car les bombardements allemands le démolissaient régulièrement
pendant le jour. De plus, les troupes d'assaut subissaient, à partir
du 20, des pertes sensibles du fait que nous ne possédions pas
la supériorité du feu.
Mais voici qui est aussi grave :
Dans ses "Souvenirs de guerre sur Verdun", Le Kronprinz (le
prince héritier) insiste sur la préoccupation du commandement
allemand de créer, avant toute attaque, une position de départ
solide et des communications vers l'arrière afin que les troupes
puissent être lancées à l'attaque en pleine possession
de leurs moyens et sans avoir été dissociées avant
l'assaut.
Cette préoccupation a-t-elle été la même de
notre côté ?
Hélas !
Un chef de bataillon, qui, peu de temps avant l'attaque, reprenait dans
un des secteurs de Douaumont des emplacements déjà tenus
par lui un mois auparavant, s'étonnait que rien n'eût été
fait pour améliorer les communications entre le fort de Souville
et le bois de la Caillette, que le secteur lui-même de la Caillette
fût demeuré dans le même état au cours de ces
trente jours : "Le chef de bataillon que je remplaçais me
montra son "topo" et les nouvelles limites du secteur. Il n'avait
pu y travailler, ayant sans cesse, suivant les ordres reçus, fait
faire des reconnaissances et lancer des grenades pour tâcher d'avancer
de quelques mètres. Il regrettait, comme moi, qu'on ne lui eût
pas laissé plus de temps pour améliorer la position.
Et pourquoi ? Pour gratter un peu de terrain à l'ennemi et avoir
un secteur qualifié d' "actif"
"
L'aberration a été pareille, non seulement sur toute l'étendue
du front de Verdun, mais sur tous les fronts pendant toute la durée
de la guerre.
Trois ans après la fin de la guerre, au cours d'un pèlerinage
en forêt d'Apremont, je fus stupéfait de ne pouvoir retrouver
des emplacements où je m'étais battu pendant plus d'un an,
alors qu'à vingt mètres plus loin, dans les lignes allemandes,
tranchées, sape, boyaux, postes de secours, tout était demeuré
intact. Chez nous, la terre nue où l'on se cachait comme l'on pouvait
; chez les Allemands, du ciment à profusion. "
Journée du 29 juin
1916, lutte pour de l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage du commandant
P
:
"
Le 27 juin 1916, les 4e et 5e bataillons du 248e R.I. sont chargés
d'effectuer l'attaque sur Thiaumont sous les ordres de leur chef de corps,
le lieutenant-colonel Marchand. Mais ils ne parviennent qu'au lever du
jour au retranchement Z et ses abords qui constituent leur base de départ
; leur placement n'est pas achevé que le tir trop court de l'artillerie
française leur inflige de lourdes pertes au point de les désorganiser
en partie.
En conséquence, le lieutenant-colonel Marchand propose de remettre
l'attaque au lendemain. Sa demande est rejetée.
Sur quoi s'est basé le chef en 2e lignes pour ne pas écouter
le commandant du régiment qui demande que l'attaque soit remise
au lendemain ? Celui-ci seul connaît la vraie situation ; et il
est seul à même de juger si son attaque peut ou non réussir.
Sauf dans le cas très particulier où la situation générale
le commanderait d'une façon absolue, et où l'on est obligé
de consentir le sacrifice d'une troupe pour sauver le reste, sauf ce cas
très spécial, on doit toujours écouter le chef de
la 1ere ligne. Certains petits états-majors se sont montrés
ardents pour des attaques sans but, sans préparation, "pour
la gloire". Ils auraient dû avoir le courage de dire à
leur grand chef : "Non, l'attaque, dans les conditions du moment
actuel, n'est pas possible". Et le grand chef se serait rangé
à leur avis. "
Journée du 24 octobre 1916, reprise
du fort de Douaumont par les Français. Témoignage du sous-lieutenant
HUGUET de la 19e compagnie du génie :
"
Durant la reprise du fort de Douaumont, le 24 octobre 1916, le commandant
allemand, le Hauptmann Prollius, est capturé avec 3 officiers et
24 hommes par un fantassin de ma compagnie, le maître-ouvrier Dumond,
un petit gars débrouillard de la banlieue parisienne. Cet exploit
lui valut une des premières croix de la Légion d'honneur
décernée à des hommes de troupe.
On a écrit que le fort, en cette soirée du 24, était
dans un état de saleté repoussante, qu'une odeur nauséabonde
y régnait. J'avoue n'avoir pas du tout vu Douaumond sous cet aspect
peu engageant. En réalité, les Allemands, avec ce souci
du confortable qui les caractérise, avaient admirablement organisé
leur conquête. Des lampes électriques à réflecteurs
répandant à l'intérieur du fort une brillante lumière
; des lits confortables ont été aménagés dans
tous les locaux ; toutes sortes d'appareils (téléphones,
T.S.F., appareils à oxygène contre les gaz, tous de marques
allemandes, ont été installés) ; les couloirs sont
propres et l'atmosphère n'est nullement empuantie ; le fort possède
un "Lazaret" bien organisé et même un "Kasino".
Visiblement, ces Messieurs s'étaient installés d'une façon
définitive ; notre arrivée foudroyante, à laquelle
ils ne s'attendaient pas, ne leur a pas donné le temps de se défendre
sérieusement.
Un incendie a été allumé par nos obus dans une casemate
effondrée ; le commandant allemand, qui ne doit être évacué
vers l'arrière en tant que prisonnier qu'à l'aube, offre
de l'éteindre avec ses hommes ; on le lui accorde et je suis chargé
de le surveiller. Il se munit, ainsi que ses pionniers, d'appareils à
oxygène et s'emploie très activement à l'extinction
du feu fort menaçant. Il faut voir avec quelle promptitude ses
hommes obéissent aux ordres qu'il leur donne.
Ainsi, pendant cette nuit du 24 au 25 octobre, le fort de Douaumont posséda
deux commandants : un Allemand, un Français.
Revolver au poing, isolé pendant plusieurs heures avec mes Boches,
j'ai pu causer longuement avec leur commandant, le Hauptmann Prolius,
nullement arrogant, quoi qu'on en ait dit, et qui parle assez correctement
le français. C'est un capitaine d'artillerie d'active, âgé
de 32 ans, au front depuis le début de la guerre et décoré
de la Croix de fer. Le véritable commandant du fort ayant été
blessé, il exerçait ses fonctions depuis trois semaines.
Il admire en connaisseur le travail de notre artillerie ; il reste pensif
quand on lui parle de Verdun ; beau joueur, il reconnaît notre succès,
mais il croit malgré tout à un coup prochain et décisif
de l'Allemagne.
En attendant, il m'annonce la prise de Bucarest, et il me donne son opinion
sur les principaux alliés : le soldat français est le meilleur
de tous (c'est aussi mon avis, mais dans sa position, il ne pouvait guère
me dire le contraire) ; l'Anglais ne vaut rien comme guerrier, il est,
de plus, cordialement détesté ; le Russe, ordinairement
brave, attaque en masses compactes et subit des terribles pertes. La guerre
sur le front oriental est beaucoup moins dure que chez nous
"
Journée du 7 juin 1916, prise du
fort de Vaux par les Allemands. Témoignage du commandant P
:
"
De quelle façon le fort de Vaux a capitulé :
Dans la nuit du 6 au 7 juin, le sous-lieutenant Fargues de la 6e compagnie
du 142e R.I., a fait effort pour parlementer avec l'ennemi vers la casemate
sud-ouest de l'ouvrage. Le jour arrive sans aucune réponse et pourtant
les Allemands veillent de toutes parts. Vers 6 heures du matin, l'adjudant
Benazet obtient une réponse au barrage qui ferme le coffre double.
Immédiatement, le lieutenant allemand Muller-Verner est introduit
à l'intérieur auprès du commandant Raynal (commandant
en chef du fort). Toutes les conditions étant acceptées
et signées, il faut évacuer la place.
Les hommes déposent les armes, bien des larmes coulent, pas un
mot, un silence de mort plane sur ce morceau de France. L'ennemi présente
les armes et puis, bien lentement, les héros du fort de Vaux descendent
vers l'exil.
Les Allemands entraient au milieu d'un grand silence, écrit le
caporal-brancardier Edmond Patry : on entendait le bruit de leurs bottes,
ils montaient l'escalier de pierre à la file indienne, l'officier
en tête, coiffé d'une casquette, suivi des téléphonistes,
pionniers, tous s'éclairant de leurs lampes électriques.
Les Français étaient rangés de chaque côté
de l'allée centrale du fort ; les Allemands passaient au milieu
et les saluaient. Ils appartenaient au 39e régiment d'infanterie
prussien.
L'évacuation se fit par la brèche nord-ouest. Au pied des
pentes du fort de Vaux, la plaine marécageuse et les trous d'obus
contenaient de l'eau. Tous se jetèrent sur cette eau pourtant pleine
de vase
Le commandant Raynal fut conduit au Kronprinz (le prince héritier
allemand), puis emmené à Mayence.
"Le
Kronprinz est debout, il m'accueille avec une courtoisie très franche.
Il n'est pas laid ; ce n'est pas le singe qu'on fait de lui les crayons
qui l'ont caricaturé ; c'est un cavalier mince et souple, élégant
et non sans grâce, qui n'a rien de la raideur boche.
Le Kronprinz parle, il s'exprime avec facilité, dans un français
assez pur.
Il reconnaît et vante comme il sied la ténacité de
nos hommes, leur admirable vaillance. "Admirable" : il répète
plusieurs fois ce mot. Le Kronprinz me remet la copie du message par lequel
notre général en chef envoyait ses félicitations
au fort de Vaux.
Maintenant l'héritier du kaiser arrive au geste noble :
- Désireux d'honorer votre vaillance, mon commandant, j'ai fait
rechercher votre épée que je me dois de vous rendre ; malheureusement,
on n'a pu le retrouver
Et pour cause, suis-je tenté de glisser
: je n'ai eu pour toute arme personnelle que ma canne de blessé
et mon revolver.
Il poursuit, en me présentant le coupe-choux d'un sapeur du génie
:
- Je n'ai pu me procurer que cette arme modeste d'un simple soldat, et
je vous prie de l'accepter.
Mon premier mouvement est de me hérisser ; mais le Kronprinz ne
se moque pas de moi, c'est très sérieusement qu'il accomplit
son geste, et comme l'effet ne lui en échappe pas, il insiste sur
l'intention qui donne à ce geste sa véritable portée
:
- L'arme est modeste, mais glorieuse, mon commandant, et j'y vois, comme
dans l'épée la plus fière, le symbole de la valeur
française
Je ne peux plus refuser :
- Ainsi présenté, j'accepte cette arme et remercie Votre
Altesse de l'hommage qu'elle rend à la grandeur de mes humbles
camarades.
C'est tout, je salue militairement et m'en vais en emportant mon coupe-choux.
Nous n'avons pas fait cent mètres que :
- Herr major, Son Altesse Impérial vous prie de revenir.
Je regagne le quartier général du Kronprinz. Comme je pénètre
dans le bureau par une porte, il sort d'une autre pièce et vient
à moi, tout épanoui : il tient une épée à
deux mains, un sabre-épée d'officier français :
- J'ai trouvé, mon commandant. Je vous prie d'accepter cette arme
plus digne de vous, en échange de celle que je vous ai offerte,
à défaut d'une autre. "
(D'après le récit du commandant RAYNAL,
commandant en chef du fort de Vaux en juin 1916)
Nous ne partageons nullement l'avis de ceux qui ont voulu voir, dans cette
attitude et ces paroles rendues publiques aussitôt, des arrière-pensées
de propagande allemande. Les Allemands sont des adversaires déloyaux,
puisqu'au mépris des conventions signées, ils ont envahi
la Belgique et se sont servi des gaz ; mais nous devons également
les tenir pour des adversaires braves et comme des hommes qui savent honorer
la bravoure chez leurs ennemis. "
Journée du 19 mai
1916. Témoignage de l'adjudant SALVAT du 3e Mixte Z.-T. :
"
Le 19 mai, le général Nivelle signale l'état sanitaire,
très défectueux de certaines des divisions retirées
de la bataille et écrit : "Toute division, pour laquelle la
fatigue dépasse un certain niveau, subit une dépression
physique et même morale qui la rend inutilisable pour un mois au
minimum."
Une division a été relevée à la suite d'un
fait qui semble à première vue insignifiant. Un officier
d'E.-M. étant entré dans un abri de seconde ligne où
se trouvaient une vingtaine d'hommes, s'aperçut avec stupeur qu'un
homme était pendu au milieu de l'abri et que ses camarades ne s'étaient
pas préoccupés de le dépendre. Nivelle, prévenu,
estima fort justement qu'une pareille dépression morale rendait
la division inapte au combat. "
Témoignage du commandant P... :
"
Les mutineries de 1917 n'ont pas poussé en génération
spontanée ; elles apparaîtraient dénuées de
sens si l'on ne savait qu'elles ont été préparées
par des mécontentements échelonnés sur chaque mois
de la guerre :
Prenons l'exemple ci dessous :
"
Le 5 novembre, nous cantonnons à Belleray. Comme nous allons et
venons dans la grande rue du village, il nous faut brusquement nous garer
pour laisser passer des autos militaires. Dans l'une d'elles, on reconnaît
M. Poincaré et le général Nivelle. Quelques acclamations
éclatent, mais on entend aussi le cri : "Embusqués."
Il y a même des pierres lancées contre les voitures. Je revois
toujours M. Poincaré, coiffé de sa casquette de marine,
se pencher à la portière pour regarder. "
(D'après un récit de l'abbé
Joseph MAGNIEN, sergent infirmier au 66e B.C.P)
Verdun a été une épreuve au-dessus des forces humaines.
Or, les chasseurs du 66e, dont il est question ci-dessus, sortaient de
Verdun et savaient qu'ils allaient retourner à Verdun. Il ne faut
donc pas s'étonner de leur mauvaise humeur ici, au repos, en tête-à-tête
avec leurs misères, mais s'étonner plutôt de leur
résignation et de leur vaillance chaque fois que, jetés
au feu, ils se trouvaient en face de leur seul devoir.
Prenons ce deuxième exemple :
"
Le Président Poincaré passe le 13 juillet à Haudainville
et descendant de son auto passe en revue les hommes assemblés en
rang dans les rues du village, s'approche d'un homme : "Eh bien,
mon ami, êtes-vous bien ici ? Avez-vous de la paille en suffisance
?" "De la paille ? On n'en a jamais vu
"
Le Président, interloqué, se dirige vers un autre groupe
: "Eh bien, mon ami, avez-vous tout ce qu'il vous faut ? touchez-vous
régulièrement votre tabac ?" "Du tabac ? j'ai
celui que j'achète !"
Complètement démonté, le Président n'insiste
pas, remonte dans son auto et s'en va. "
(D'après le récit du colonel ROMAN
du 358e R.I.)
Je crois pouvoir ajouter que M. Poincaré était, dans l'incident
ci-dessus, hors de cause. Trop réservé, trop froid, trop
timide, il était incapable de trouver les mots qui dérident
ou émeuvent un soldat. "
Témoignage de Paul
PAINLEVE, ministre de la guerre :
"
Le petit Lefebvre, il me rappelle des heures que je n'oublierai jamais
de ma vie. Je l'ai vu cet enfant par les yeux de ma conscience. 19 ans,
il s'était bravement battu mais il avait été pris
alors qu'il braquait son fusil chargé sur un officier. Jusqu'à
minuit, je parlementais avec le général Pétain pour
lui arracher ses deux grâces. A trois heures du matin, je me levai,
je fis réveiller le généralissime et tentai auprès
de lui un dernier et ultime effort.
J'ai dû le laisser exécuter, je garde ma douleur pour moi.
"
Journée du 12 mai
1916, attaque allemande sur la cote 304. Témoignage du lieutenant
J.P. du 95e R.I. :
"
Nous étions là tous les deux, suant, ahanant, soufflant,
moi défonçant les caisses de grenades à coups de
pieds pour aller plus vite, Durassiè les lançant sur chaque
parcelle de Boche qui se montrait à notre horizon, quand je me
sentis tirer par le derrière de ma capote. Ayant tourné
la tête, je vis un agent de liaison qui, accroupi à cause
des éclats qui rejaillissaient non loin de nous, bredouillait je
ne sais quoi. Tout occupé à ma tâche, je ne m'intéressais
pas du tout à ce qu'il pouvait me dire, mais il insista, tirant
ma capote avec frénésie, tant qu'à la fin, impatienté,
je me penchai vers lui :
- Eh bien, quoi ?
- Mon lieutenant
vite ! vite ! Le commandant demande un compte rendu
sur le combat. Tout de suite, tout de suite, qu'il a dit !
Sainte Bureaucratie ! Sainte paperasserie ! Même à la guerre,
les Bureaux ne nous lâchaient pas et les rapports à fournir
nous suivaient fidèlement à la piste.
N'a-t-on pas vu, en pleine tourmente de Verdun, des capitaines aux prises
avec toutes les difficultés et tous les dangers de leur charge,
recevoir de l'arrière des demandes comme celle-ci : "Envoyer
moi sans retard la statistique des chaussures en mauvais état ;
rapport réclamé d'urgence par la division." Parfois,
pour apporter ces demandes, les agents de liaison avaient dû traverser
des nappes de gaz ou des tirs de barrage. "
Témoignage du commandant
P... :
"
Deux ans après la guerre, des étrangers visitent le champ
de bataille de Verdun et remarquent une ligne de fusils dressés,
quelques-uns avec leur baïonnette. Ils auraient pu observer de semblables
lignes de fusils sur de nombreux points du front, car c'était l'habitude
des Français et des Allemands de jalonner ainsi les vieilles tranchées
qu'ils avaient comblées après avoir entassé dans
le fond des cadavres sans sépulture. Comme ces étrangers
ne connaissent rien à la guerre, ils croient à des hommes
enterrés debout à leur poste ; ils ne savent pas que les
obus ne peuvent fermer des tranchées, qu'au contraire, ils disloquent,
éparpillent les parois des tranchées et les corps des occupants.
Leur imagination s'enflamme. Ils voient des hommes sous un bombardement
en pluie, submergés peu à peu par les éboulis et
attendant, stoïques, que la terre montante recouvre leur poitrine,
leurs épaules, leur bouche, leurs yeux
Ils érigent
un monument.
Si ces étrangers ne méritent aucun blâme, il n'en
est pas de même des Français qui, connaissant la fausseté
de la légende, ont essayé de lui donner une consécration
historique. La Tranchée des Baïonnettes, qui n'était
au début qu'une innocente naïveté, est devenue, par
suite de certaines complicités, une imposture.
Néanmoins, si l'on me demandait quels titres spéciaux possède
la Tranchée des Baïonnettes, je répondrais : pas plus
de titres que n'importe quelle autre tranchée de Verdun, mais pas
moins non plus. Si ce monument, qui symbolise la ténacité
française, n'existait pas, s'il était question, aujourd'hui
seulement, de choisir l'emplacement où il dût s'élever
un jour, on pourrait discuter des titres de telle ou telle partie du champ
de bataille à cette gloire insigne. Car c'est tout le champ de
bataille de Verdun qui a été le théâtre d'héroïsme
inouï, de Vauquois à Calonne qu'il conviendrait de recouvrir
d'un vaste monument, car tout ce champ de bataille n'est qu'une vaste
Tranchée des Baïonnettes. Mais le monument existe, il a déjà
reçu les hommages, il a déjà vu les prières
et les larmes des foules pèlerines ; nous pouvons l'honorer en
toute tranquillité. "
La Tranchée des Baïonnettes en 1920 - La
tranchée des Baïonnettes aujourd'hui
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